Événement planétaire, précurseur de la globalisation du divertissement dont ils sont devenus l’un des piliers, les Jeux olympiques constituent à la fois un miroir des évolutions sociales et une projection de l’état du monde. En 1928, pour la première fois, les femmes sont présentes aux Jeux. La nouveauté de leur participation coïncide avec leur obtention du droit de vote (en 1917 aux Pays-Bas, en 1918 en Allemagne…). La reconnaissance des droits civiques des femmes est allée de pair avec l’affirmation de leur aptitude à être des olympiennes – même si cela n’a pas été du goût de tous. Près de trois cents pionnières ont concouru à Amsterdam. Elles représentaient alors un peu moins de 10 % des athlètes engagés. Cinq mille femmes prendront part aux épreuves de 2024, soit la moitié du total des athlètes présents.

L’édition berlinoise de 1936 marque un tournant : les Jeux sont utilisés à des fins de propagande à grande échelle. Le sport est militarisé. Ses vertus sont racialisées. Pour l’illustrer, plutôt que de faire appel à l’affaire (qui n’en est pas une) du non-salut d’Adolf Hitler à Jesse Owens, il faudra préciser que ce même Jesse Owens, pourtant vainqueur de quatre médailles d’or, ne reçoit aucune félicitation de la part de Franklin Roosevelt. Le président des États-Unis, pays alors légalement ségrégué, est en pleine campagne pour sa réélection. Il veut éviter un faux pas qui pourrait lui coûter des millions de suffrages. Il sera réélu.

Les athlètes forcent les regards à se poser sur de grandes questions sociales

Mentionnons aussi, pour la petite histoire, la fâcheuse anecdote du salut olympique (aussi appelé salut de Joinville) effectué par la délégation française lors de la cérémonie d’ouverture. La main droite levée des athlètes tricolores est interprétée comme le salut nazi par les cent mille spectateurs réunis dans le stade. L’équipe de France, à son corps défendant, reçoit une tonitruante ovation. Leni Riefenstahl ne rate pas l’occasion. Au montage des Dieux du stade, elle fait précéder le défilé français d’un gros plan sur Hitler. Le salut de Joinville sera par la suite interdit.

A posteriori, les Jeux de Berlin constituent un signe avant-coureur de la guerre. Côté nazi, bon nombre d’acteurs du conflit à venir figurent même en bonne place dans le comité d’organisation des Jeux. On relève notamment le futur maréchal Wilhelm Keitel (il signera en 1945 la reddition de l’Allemagne). Ou encore le « bourreau de Prague » et instigateur de la « Solution finale », Reinhard Heydrich (bon sabreur par ailleurs). Les Jeux de 1940 devaient avoir lieu à Tokyo… Ils sont bien sûr annulés.

1952 marque le retour de l’olympisme. Mais le monde a changé. Une autre forme de compétition se fait jour. Elle oppose les deux superpuissances. Les Jeux d’Helsinki se muent en une compétition étatique. Jusqu’à la dislocation de l’URSS, cette bataille des médailles va rythmer les subséquentes éditions des Jeux. À Helsinki, on devine les dirigeants soviétiques particulièrement attentifs à ce que leur pays affirme son rang. Leur propagande a largement relayé le fait qu’Helsinki est la capitale de son coriace adversaire (précédemment acoquiné avec l’Allemagne nazie) de la « guerre d’hiver ». À l’enjeu de propagande s’ajoute désormais celui d’une compétition sportive qui devient une extension concrétisée de l’arène géopolitique. C’est dans ce contexte de réacquisition du statut de grande puissance que peut s’envisager l’actuelle question du dopage russe. Le sport souvent y perdra.

Avec la diffusion des épreuves, les athlètes forcent les regards à se poser sur de grandes questions sociales

Dès 1956 et les Jeux de Melbourne, les États vont avoir recours à l’arme du boycott pour exercer leur soft power. La guerre froide est là. Les troupes du pacte de Varsovie interviennent dans le sang à Budapest. En raison de la présence de l’URSS à Melbourne, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suisse boudent les Jeux. Le canal de Suez – tout juste nationalisé par Nasser – est un autre épicentre de confrontation. Britanniques, Français et Israéliens ont formé une alliance militaire pour reprendre le canal de force. En conséquence, l’Égypte, l’Irak et le Liban refusent de participer aux Jeux. Melbourne fera jurisprudence : les éditions de 1980 (à Moscou) et de 1984 (à Los Angeles) seront largement boycottées par les alliés des États-Unis, puis par les alliés de l’URSS. Les Jeux de Séoul se feront, eux, sans la Corée du Nord, qui eût souhaité coorganiser l’édition de 1988. Les sportifs n’ont pas leur mot à dire. À moins que…

Avec la diffusion des épreuves, les athlètes forcent les regards à se poser sur de grandes questions sociales. Le dépit de Jesse Owens en 1936 trouve ainsi un écho vengeur dans les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos à Mexico, en 1968. Les deux coureurs états-uniens protestent contre la ségrégation qui sévit toujours dans leur pays et contre la situation de nombreux Noirs dans le monde, ceux d’Afrique du Sud, notamment, qui avaient été exclus lors de l’édition précédente, à Tokyo, en raison de la politique d’apartheid : Blancs et Noirs ne pouvaient voyager à bord des mêmes avions ni être hébergés dans le même village olympique. Le geste de Tommie Smith et de John Carlos fera le tour du monde. Il inspirera peut-être, en 1976, le boycott des Jeux de Montréal par vingt-deux pays africains – la Nouvelle-Zélande, présente à cet événement, ayant fait jouer son équipe de rugby en Afrique du Sud. 

Tout comme l’ensemble de la population, les athlètes des régions plongées dans la brutalité des conflits subissent des privations. Ils sont parfois contraints à l’exil. Les Jeux de 2016, à Rio, se font le reflet de cette réalité globale avec l’instauration de l’équipe des réfugiés. Elle compte alors dix athlètes. Ils sont aujourd’hui plus de soixante à s’entraîner en vue d’être sélectionnés pour les Jeux de Paris. 

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