Devant le Musée olympique à Lausanne, il y a une statue de Coubertin, la moustache fière et les mains dans les poches. Et un mur blanc, où est écrite la devise olympique Citius, Altius, Fortius (« Plus vite, plus haut, plus fort »). Tout le monde la connaît : c’est un idéal de dépassement de soi, privilégié à la quête de la seule victoire. Un complément à « l’important, c’est de participer », adage consolant pour tous les vaincus. Pourtant, à ces deux sentences, Pierre de Coubertin préférait une formule moins hypocrite. Il avait demandé à un éminent latiniste de moderniser l’expression « Un esprit sain dans un corps sain », que l’on doit au poète Juvénal, et qui lui paraissait trop hygiénique et pas assez athlétique : « Être sain : la belle affaire ! Conquiert-on le monde avec des qualités aussi négatives ? » On lui suggéra : mens fervida in corpore lacertoso, soit en français : « un esprit ardent dans un corps musclé ». Le baron l’adopta comme devise personnelle : « Le sport est une activité passionnelle… Prétendre le priver de sa tendance à l’excès, c’est lui couper les ailes. »

Ces compétitions sportives sont devenues les célébrations dionysiaques de notre époque, où les adeptes de l’effort communient avec les buveurs de bière du monde entier. 

Aujourd’hui, ces excès continuent à galvaniser les athlètes et à électriser les foules. Trois milliards d’habitants du globe ont suivi les olympiades de Tokyo ; ils devraient être quatre milliards au total pour celles de Paris – plus que devant l’homme sur la Lune, le mariage de Kate et William ou les cent ans du PC chinois ! Qu’importe que les Jeux olympiques soient nés avant l’avènement de la télévision et même de la radio, ces compétitions sportives sont devenues les célébrations dionysiaques de notre époque, où les adeptes de l’effort communient avec les buveurs de bière du monde entier.

Plus qu’une simple réunion athlétique, Pierre de Coubertin voulait faire des olympiades un événement sacré à la manière antique. Lui, qui était fils d’un peintre académique aux toiles orientalistes et pompières, les a conçues comme un spectacle total. En 1911, il consacre une série d’articles à la mise en place d’un « ruskinianisme sportif », du nom de John Ruskin, un penseur qu’on a un peu oublié en France, en dépit de sa traduction par Marcel Proust. Pour John Ruskin, la beauté ne s’arrête pas à la porte des musées. Elle doit être présente dans toute la vie sociale : immersive, un peu comme le metaverse, la spiritualité en plus. À son école, le baron soigne les harmonies et les agencements : « Le faisceau de drapeaux ne se fait bien qu’avec sept ou neuf drapeaux, sept suffisent mais cinq donnent au faisceau un air maigrichon qui déplaît » ; « Rien ne vaut le chant choral comme accompagnement d’une fête sportive de plein air, le double ou le triple quatuor, voilà l’idéal »…

Mais que vaut une célébration du corps si les corps n’y sont plus ?

Coubertin se méfiait des foules et de leur goût pour la « fêtardise vulgaire » des jeux du cirque… Mais son spectacle a évolué avec l’époque. Les innovations techniques se sont succédé pour le diffuser plus massivement. Est-ce un hasard si elles ont contribué aussi à l’éloigner physiquement ? En 1924, on se réjouissait de l’apparition d’un haut-parleur au stade de Colombes pour informer jusqu’aux places les plus élevées. Un siècle plus tard, seuls les happy few pourront entrer dans les stades d’Île-de-France, les autres regarderont les jeux affalés dans leur canapé, à la télé ou sur leur smartphone. Mais que vaut une célébration du corps si les corps n’y sont plus ? Fleuron du capitalisme, glorification de son esprit de compétition, l’olympisme concentre aujourd’hui toutes les contradictions de notre société de loisirs qui ne connaît qu’une seule devise : l’important, c’est de consommer. 

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