Quels sont généralement les impacts environnementaux des JO ?

Signalons pour commencer que, dans la question de la durabilité des Jeux, nous prenons en compte les impacts écologiques mais aussi économiques et sociaux. Équilibrer ces trois dimensions s’avère plus compliqué que de ne penser qu’au paramètre du climat.

Ensuite, si l’on se concentre sur la dimension écologique, l’ampleur des impacts dépend aussi des pays. Dans les régimes autoritaires, les coûts pour la société, l’économie et l’environnement sont bien plus élevés. Par ailleurs, les JO d’hiver sont plus dangereux pour le climat et la biodiversité que les Jeux d’été. En Russie, par exemple, Sotchi était une petite station balnéaire, au milieu d’un parc naturel – une nature préservée, donc. Les organisateurs ont construit une autoroute, des pistes de ski, des tunnels, des dizaines de ponts, une rocade, des dizaines de bâtiments… L’impact économique est certainement une réussite, mais la nature a été détruite. Les poissons et toute la vie de la rivière Mzymta, notamment, ont été anéantis pour construire une voie ferrée. Dans leur rapport final, les organisateurs se vantent d’avoir réhabilité cette rivière, mais sans mentionner que ce sont eux-mêmes qui l’avaient détruite !

Les impacts négatifs des Jeux de Paris seront-ils moins importants ?

Il est très populaire de critiquer les Jeux, car ils entraînent forcément des destructions. Mais un des avantages d’héberger les Jeux à Paris, c’est que plusieurs infrastructures existent déjà – on atteindrait 95 % de constructions existantes ou temporaires, même si ce chiffre est difficile à vérifier. Contrairement à Pékin ou à Rio, il n’a pas été décidé de bâtir de nouveaux stades. C’est une des recommandations de notre équipe, depuis plusieurs années : arrêter de construire de nouvelles infrastructures. Le Grand Palais éphémère, près de la tour Eiffel, par exemple, va accueillir certaines compétitions et doit être démonté par la suite. C’est un progrès.

Bien sûr, il y a des impacts. Le village des médias installé sur un parc départemental, les jardins d’Aubervilliers partiellement rasés pour construire une piscine olympique… Peut-être que les Jeux de Paris sont liés à une nouvelle phase de bétonisation, mais elle est moindre que celle d’autres éditions.

Que dire des autres impacts écologiques, en dehors des constructions ?

L’autre grand impact provient des émissions de CO2 liées aux voyages. Les Jeux de Paris 2024 posent un problème particulier, car ils n’auront pas seulement lieu à Paris, mais également à Tahiti, entre autres. Peut-on dire que les Jeux sont soutenables alors que des milliers de personnes prennent l’avion vers le Pacifique ? Pas du tout.

Paris affirmait initialement que ces Jeux seraient « à impact positif », notamment en recourant à la compensation carbone. Que pensez-vous de cette démarche ?

C’est de la folie. De nombreuses recherches montrent que des programmes de compensation, par exemple par la plantation d’arbres, ne fonctionnent pas. On a vu des scandales : les arbres n’étaient pas vraiment plantés, ou alors sous forme de plantations totalement uniformes. Dans d’autres cas, ces nouvelles forêts artificielles ont été détruites au bout de deux mois… La compensation est juste un moyen d’entretenir le statu quo : on pense qu’en versant un peu d’argent, on peut ignorer les destructions qui ont eu lieu. C’est une blague d’imaginer que ça peut compenser le carbone qui a été émis par ailleurs, c’est du greenwashing [ou écoblanchiment]. D’ailleurs, aujourd’hui, les Jeux de Paris ne se veulent plus « à impact positif » ni même « neutres en carbone ». Peut-être que les organisateurs ont finalement décidé de ne pas mentir. Globalement, sur les seize éditions des Jeux qui ont eu lieu entre 1992 et 2020 et que nous avons étudiées, la soutenabilité décline au fil du temps. C’est tragique. Les Jeux deviennent de plus en plus énormes, donc l’empreinte est logiquement plus immense à chaque fois. On ne peut pas continuer comme ça.

Que proposez-vous ?

On ne doit pas négliger le fait que des milliards de gens adorent les Jeux, qui leur apportent de la joie et du plaisir. Ces événements sont très importants également pour les athlètes. On doit donc trouver des moyens de les rendre moins destructeurs. Une des solutions consiste à utiliser des infrastructures existantes, on l’a dit. Cela signifie qu’à l’avenir, il ne faut plus aller dans de nouvelles villes hôtes. Mais comment permettre tout de même les échanges culturels, ces occasions de partager et d’échanger ? Je suggère qu’il y ait deux pays hôtes en même temps : le Pérou, par exemple, pourrait venir coorganiser les Jeux à Paris, à Londres ou ailleurs, avec un programme culturel de son pays, etc. Mais sans construire de nouveaux stades qui seront vides l’année suivante.

« Il faut un changement radical de notre façon de vivre et il est logique que les JO aussi soient concernés »

Les Jeux doivent aussi devenir plus petits. Il faut utiliser notre imagination. S’ils pouvaient avoir lieu tous les deux ans et non tous les quatre ans, avec moins de spectateurs et moins d’épreuves à chaque fois, ce serait formidable. On peut aussi imaginer organiser les épreuves dans deux endroits, comme Albertville et Salt Lake City. Et dans les autres villes, on installerait de grands écrans pour suivre les épreuves à distance, par exemple à Milan pour tous les Italiens qui le souhaitent, avec une vraie fête, des spectacles, etc.

N’avez-vous pas peur de casser la « magie » des Jeux ?

C’est effectivement un risque : que chacun reste chez soi, que des populations soient exclues. Mais regardez les autres risques : soit les Jeux s’arrêtent totalement, soit le monde meurt à cause de la crise environnementale ! Depuis des années, des scientifiques alertent et disent, sans exagérer, qu’il est temps de paniquer. Il faut un changement radical de notre façon de vivre, et il est logique que les JO aussi soient concernés. Nous devons inventer quelque chose de nouveau.

Globalement, est-il facile d’évaluer la durabilité de ces méga-événements ?

C’est difficile car, même dans des pays non autoritaires, un certain nombre d’informations ne sont pas rendues publiques. Parfois même, des documents sont détruits. Pensons aux JO de 1992. On a soupçonné certains membres du CIO d’avoir été soudoyés afin d’attribuer ces Jeux à Nagano, au Japon. Impossible de le vérifier, cependant, car les livres de comptes ont été brûlés.

Pour en revenir aux impacts écologiques, les Jeux de Paris seront organisés dans le contexte d’une grande réforme olympique, que le CIO a nommée « Agenda 2020 » puis « Agenda 2020+5 ». Avec ces nouvelles normes, les frontières entre ce qui relève des Jeux ou de la ville sont plus floues. Prenons l’échangeur autoroutier Pleyel, qui va encercler un groupe scolaire de Seine-Saint-Denis et exposer 700 enfants de milieu modeste à une importante pollution automobile : qui est responsable de cette construction ? Officiellement, ce n’est pas lié aux Jeux olympiques mais au projet du Grand Paris. Pourtant, ce quartier va relier les principaux sites olympiques… À Sotchi, c’était clair : une ville est sortie de terre dans un parc protégé et s’est appelée « ville olympique ». En France, tout est un peu mélangé, car les infrastructures sont également liées à l’évolution de la ville.

Autre problème de cette réforme : l’évaluation des Jeux ne sera pas indépendante, mais liée au CIO. C’est un sujet sérieux, car le CIO est très puissant. Il a des relations avec de nombreux gouvernements, avec l’ONU… Comment peut-on lutter contre un pouvoir pareil ? Un universitaire payé par le CIO peut-il rester indépendant et mener des recherches sur des points négatifs si besoin ? J’en doute. Une évaluation indépendante demande des moyens, il faudrait l’aide d’une organisation comme l’ONU pour réaliser des mesures, comparer les Jeux, voire publier des recommandations pour mettre fin aux situations problématiques. On doit essayer quelque chose.

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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