L’écologie connaît aujourd’hui en France une situation paradoxale : elle n’a jamais été aussi centrale dans la société et, dans le même temps, elle ne s’est jamais trouvée aussi inexistante politiquement. L’ambiance est pourtant propice aux urgentistes de la planète : le changement climatique se situe tout en haut de l’agenda médiatique depuis la COP 21 de décembre 2015. Plus personne ne conteste sérieusement l’urgence de protéger l’environnement, voire de transformer le modèle de production dans un monde aux ressources naturelles chaque jour diminuées. Sur le plan national, le « nouveau monde » proposé par Emmanuel Macron aurait pu prendre cette question à bras-le-corps en faisant de la transition écologique une question majeure. Le soutien de l’icône écolo Daniel Cohn-Bendit au nouveau président et la nomination de Nicolas Hulot comme ministre d’État et numéro trois du gouvernement – un homme dont l’engagement ne fait l’objet d’aucune contestation – semblaient pointer dans cette direction. Pourtant, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, force est de constater que l’écologie ne constitue pas une priorité politique. On attend toujours la grande loi de transition verte, au-delà des modestes mesures annoncées par le gouvernement. Pire, l’écologie, qui s’était incarnée dans plusieurs mouvements à partir de la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974 – Les Verts d’abord, créés en 1984, puis Génération écologie en 1990, et enfin Europe Écologie-Les Verts (EELV) en 2010 – est en passe de disparaître de l’échiquier politique. Pour la première fois depuis 1981, les écologistes n’ont présenté aucun candidat lors de la dernière élection présidentielle à la suite du ralliement de Yannick Jadot à la candidature de Benoît Hamon. Le mouvement est, depuis la défaite, en situation de quasi-mort cérébrale. 

Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs raisons expliquent ce déclin. La première tient à l’évolution de ce thème à l’intérieur des grands partis politiques, qui cherchent à verdir leur image. À gauche, La France insoumise, Génération.s, le PS se réclament aujourd’hui de la social-écologie. Les Républicains vantent pour leur part les mérites d’une écologie de droite, et il en va jusqu’au Front national qui prétend « peindre le vert en bleu-blanc-rouge » en proposant une « écologie patriote ». Sans oublier LREM et le « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron, dont le slogan, à défaut d’actions tangibles, a fait le tour du monde. Dès lors, comment faire vivre l’écologie en politique lorsque tout le monde s’en revendique ? D’autre part, depuis ses origines, le mouvement écologiste en France, traversé de tensions destructrices, se trouve divisé en deux tendances aux objectifs différents, voire antagonistes. La première postule l’insularité des thématiques environnementales vis-à-vis des autres enjeux politiques. Priorité absolue, la transition écologique, axée principalement sur la protection de la nature, doit transformer les modes de vie et engendrer l’avènement de la société écologique de demain, plus soucieuse de l’écosystème du vivant, au-delà des seules priorités du développement humain. Ce fut longtemps le mot d’ordre des Verts, et le motif invoqué pour refuser les alliances avec d’autres forces politiques, résumé par Antoine Waechter dans le slogan « l’écologie n’est pas à marier ». La seconde tendance aura été celle de l’écologie politique au sens large, défendue, entre autres, par Génération écologie, puis par EELV. Brice Lalonde, l’un de ses premiers défenseurs, candidat (modeste) à l’élection présidentielle de 1981, disait de l’écologie qu’elle a « un projet : un projet pour l’économie, un projet pour l’emploi, un projet pour les institutions, un projet même pour la défense nationale ». Ce courant, dont l’enjeu était de sortir de l’isolement dans lequel se trouvaient Les Verts, a permis d’accroître les scores électoraux comme l’implantation locale des écolos, mais il a également mené à des alliances à géométrie variable, à gauche ou au centre, brouillant l’image du mouvement dans l’opinion. 

La lutte fratricide entre « environnementalistes » et « politiques » explique à elle seule la faiblesse du mouvement écologiste depuis trente ans, aggravée par une méfiance structurelle vis-à-vis du pouvoir. Face à une telle division, la recherche successive de figures de compromis capables d’effectuer une synthèse a longtemps fait office de stratégie pour l’écologie. Avec Europe Écologie-Les Verts, ce fut un temps Daniel Cohn-Bendit, puis Nicolas Hulot, dont la candidature malheureuse à la primaire écologiste de 2011 contre Eva Joly sonna le glas de ses ambitions à l’intérieur du mouvement écologiste. Le score picrocholin de cette dernière aux élections de 2012, puis les relations tourmentées, si ce n’est hasardeuses, d’EELV avec la majorité socialiste, sont venus achever un cycle destructeur pour une écologie politique qui se voudrait à la hauteur des attentes. Dès lors, la nomination de Nicolas Hulot au gouvernement aura été l’un des coups de maître d’Emmanuel Macron. En captant la plus populaire des figures écologistes – l’homme est à la fois un connaisseur des dossiers et le détenteur d’un capital politique indéniable –, le président de la République s’est prémuni contre une possible alternative critique dans ce domaine, lequel était pourtant l’un des points faibles de son programme. Une fois de plus, la vitrification du champ politique a fait son œuvre, accélérée par l’effondrement d’un système partisan à bout de souffle. La maestria tactique réjouira les amateurs, tout comme ceux que les pathétiques luttes de pouvoir au sein du mouvement écologiste agaçaient ou révulsaient. Mais, pour tous ceux qui espèrent qu’advienne enfin le temps d’une véritable révolution écologique, l’horizon reste sombre. 

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