Depuis combien de temps au juste Nicolas Hulot est-il la personnalité politique préférée des Français ? Parfois, il est brièvement descendu de cette première marche au profit d’une incarnation du dépassement de soi sportif, comme l’ex-championne d’escrime Laura Flessel. Mais cela ne dura jamais. Il trône toujours sur les cimes. Même les sulfureuses révélations faites en début d’année par un magazine désormais défunt, Ebdo, ne l’atteignirent pas. C’est l’hebdomadaire lui-même qui en creva, comme la grenouille de la fable. Aucune baisse sensible de sa cote de popularité. Hulot semble avoir un totem d’immunité dans le cœur d’un peuple qui autrefois aimait la politique, et qui maintenant célèbre comme personnalité politique ce qui s’en éloigne le plus. Les sports extrêmes, l’évasion au bout du monde, le mythe du bon sauvage, de l’homme se retrouvant lui-même au fond des forêts profondes, toutes ces mythologies un peu frelatées, d’autant plus puissantes dans une civilisation où tout ce qui était directement vécu « s’est éloigné dans une représentation », ainsi que l’écrivait Debord.

Rappelons en effet que celui qui semble incarner depuis des années l’authenticité écologiste auprès des Français est un pur produit de la télévision des années 1980 et 1990, et pas n’importe laquelle : TF1, la première chaîne commerciale, paillettes et casques de maçon. Un animateur lancé par l’intuitive productrice d’Ushuaïa, Dominique Cantien, qui d’ailleurs partagea, un temps, l’existence de sa créature. Aux ménagères contemporaines qui déambulent aujourd’hui dans les rayons beauté-santé des hypermarchés, les déodorants et gels de douche Ushuaïa, qui firent la fortune sonnante et trébuchante de Nicolas Hulot, apportent un souffle d’exotisme : fève de café tonifiante et baie d’açaï, vanille de Polynésie, pierre d’alun et fleur de cerisier, mais aussi une nouvelle ligne bio, garantie sans sels d’aluminium. C’est l’actuel ministre de la Transition écologique qui s’en porte rétrospectivement garant, tout ça ne saurait donc être totalement faux, et cela même si, en 2006, l’association Greenpeace épingla la marque pour l’usage de composants chimiques dangereux – sans parler de révélations ultérieures sur la possible présence d’un perturbateur endocrinien. Nicolas Hulot est à la nature ce que sa marque est aux fragrances des antipodes : un supplément d’âme plastifié, à portée de caddie, qui comble le goût nouveau de notre civilisation pour l’ersatz. À cet ersatz d’aventure et de nature, correspond d’ailleurs assez logiquement aujourd’hui un ersatz de politique – il n’y a que les naïfs pour s’en émouvoir. Sur tous les fronts, glyphosate ou nucléaire, le ministre se contente de patienter, de déplorer, de regretter, tandis que l’on peut difficilement ne pas constater l’absence de toute avancée. Nul ne semble pourtant lui en tenir rigueur dans les profondeurs fascinées du pays. La profondeur n’est pas le domaine de l’ersatz. Il marche sur l’eau, Hulot. 

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