Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge
et contempler des cieux qui ne sont pas les nôtres,
vivre parmi des gens qui ne sont pas les nôtres,
fredonner des chansons qui ne sont pas les nôtres,
rire mais d’un rire qui n’est pas le nôtre,
serrer des mains qui ne sont pas les nôtres,
pleurer avec des larmes qui ne sont pas les nôtres,
céder à des amours qui ne sont pas les nôtres,
goûter à des plats qui ne sont pas les nôtres,
prier des dieux, des dieux qui ne sont pas les nôtres,
entendre notre nom sans que ce soit le nôtre,
penser à ceci, à cela, à ce qui n’est pas nôtre,
tendre une monnaie qui n’est pas la nôtre,
et suivre des chemins qui ne sont pas les nôtres.

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
avoir pour tout bien des choses d’emprunt,
embrasser des enfants qui ne sont pas les nôtres,
s’approcher d’un feu qui n’est pas le nôtre,
entendre des clochers qui ne sont pas les nôtres,
prendre un petit air qui n’est pas le nôtre,
pleurer des morts qui ne sont pas les nôtres,
vivre cette vie qui n’est pas la nôtre,
se distraire à des jeux qui ne sont pas les nôtres,
dormir dans un lit qui n’est pas le nôtre,
grimper mais à des tours qui ne sont pas les nôtres,
lire des nouvelles, excepté les nôtres,
souffrir pour tout le monde et pour ce qui est nôtre,
écouter la pluie quand la pluie est autre
et boire d’une eau qui n’est pas la nôtre…
[…]

Miguel Ángel Asturias aura vécu des décennies hors du Guatemala. Mais ses romans et ses poèmes s’enracinent dans l’imaginaire maya. Contre les dictateurs et l’impérialisme nord-américain, ils chantent les valeurs du petit peuple indien, et l’identité métisse du continent. Un message fraternel, couronné en 1967 par le prix Nobel. 

Extrait de « Litanies de l’exilé », Poèmes indiens, traduit de l’espagnol par Claude Couffon et René L.-F. Durand, Gallimard, 1990 © Éditions Gallimard

Vous avez aimé ? Partagez-le !