Dans la diaspora chinoise de France, les Chinois établis à La Réunion constituent une communauté pionnière et singulière. Dans cette île profondément multiculturelle, ceux que l’on appelle en créole les Sinoi ont trouvé une place originale et représentent un pilier de la société créole, tant du point de vue économique que sur le plan culturel.

Pionniers, les Chinois de La Réunion le sont avant tout par l’ancienneté de leur établissement dans cette île de l’archipel des Mascareignes. Si quelques Chinois sont déjà présents au XVIIIe siècle sur l’île Bourbon, comme on l’appelle alors, il faut attendre le milieu du XIXe siècle et les besoins en main-d’œuvre de l’industrie sucrière pour voir apparaître une vraie immigration organisée. Celle-ci s’établit dans l’île quelques années avant 1848 et l’abolition de l’esclavage à La Réunion. C’est au moment où l’arrivée des travailleurs indiens « engagés » fléchit et atteint son plus bas niveau que l’on pense à faire appel aux Chinois. Le recours à la main-d’œuvre étrangère pour remplacer les esclaves dans les plantations est la principale motivation du recrutement de travailleurs contractuels cantonais et hakka, les deux groupes linguistiques qui ont été les premiers à immigrer à La Réunion et dans l’île Maurice voisine en provenance des villages environnant deux grandes villes portuaires du sud-est de la Chine, Guangzhou dans la province de Canton et Fuzhou dans le Fujian. En 1862, un décret permet à n’importe quel étranger de s’engager comme travailleur à La Réunion. À partir de cette date, plusieurs vagues de travailleurs chinois vont venir s’établir dans l’île jusque dans les années 1950, au point que cette communauté forme aujourd’hui un groupe d’environ 25 000 personnes, soit 3 % de la population locale. 

Les Sinoi font partie du paysage mental quotidien de tous les Réunionnais, tant ils dominent le secteur commercial, et notamment le commerce de détail avec l’apparition des premières « boutiques sinoi » en 1858. Véritables cavernes d’Ali Baba mêlant épicerie, quincaillerie, mercerie et pharmacie, la « boutique chinoise » a longtemps été le fournisseur exclusif des Réunionnais pour les produits de leur quotidien, bien avant l’apparition des supermarchés. Les Sinoi furent également les premiers et les plus nombreux à ouvrir des restaurants dans l’île, qui leur doit aujourd’hui certaines de ses spécialités les plus répandues, comme le sauté de mines ou les bouchons – respectivement un plat de nouilles et des bouchées au porc entourées d’une pâte fondante. Les immigrés chinois ont enfin introduit les fumeries d’opium, dont la dernière, située à Saint-Denis, a fermé en 1982 !

Avec le déclin du commerce de détail, l’activité des Chinois se diversifie dans les années 1970, en particulier dans la grande distribution, les hôtels de moyenne gamme, l’électroménager, l’automobile ou encore l’imprimerie. Avec l’accélération économique des dernières décennies, des groupements financiers interethniques apparaissent réunissant Sinoi et Malbars (Indiens) ou Créoles, alors qu’auparavant les Chinois privilégiaient les alliances économiques familiales. Parallèlement à cette « créolisation » par le brassage des intérêts économiques, on assiste aussi à l’entrée des Chinois dans la vie publique, avec notamment l’élection en 1989 du premier député français d’origine chinoise, André Thien Ah Koon, un Hakka de la deuxième génération, maire de la ville du Tampon depuis 1983. Cette communauté très dynamique se retrouve aujourd’hui souvent à la tête des grands réseaux de distribution, les plus jeunes occupant des professions libérales en vue : médecins, pharmaciens, experts-comptables ou fonctionnaires. 

Longtemps restés en marge du melting-pot réunionnais, les Chinois de La Réunion disposent aujourd’hui tous ou presque de la nationalité française, et vivent pleinement intégrés dans la société réunionnaise, participant pour une part croissante au métissage qui en constitue la norme. Majoritairement christianisés, ils pratiquent un catholicisme spécifique résultant d’une forme de syncrétisme avec le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. Soucieux de cultiver leurs racines, de nombreux membres de cette communauté sont habités par des questionnements identitaires qui les conduisent, comme l’ensemble des communautés vivant sur l’île, à se mettre en quête de leurs origines et à entretenir leurs traditions. C’est ainsi qu’on a pu assister à un renouveau de l’enseignement du mandarin, une trentaine d’établissements scolaires proposant des enseignements dans cette langue. L’implantation, en 2010, d’un institut Confucius à l’université de La Réunion marque d’ailleurs l’intérêt de la Chine pour cette petite diaspora de l’océan Indien, avec laquelle les liens se renforcent.

Manifestations de la vivacité de la culture chinoise dans l’île, la fête du dieu Guan Di ou le Nouvel An chinois sont devenus des célébrations collectives, rassemblant bien au-delà des membres de la communauté. Le soir de la nouvelle année chinoise, les Réunionnais se retrouvent pour lancer des lanternes en papier dans le ciel étoilé, observer la danse des lions, qui se pratique dans la rue pour apporter chance et pouvoir, et allumer des pétards pour chasser les mauvais esprits et bien commencer l’année. 

Le temps d’une soirée, toute La Réunion devient alors chinoise, témoignant de son hybridation culturelle et identitaire, l’une des dimensions les plus singulières et les plus attrayantes de ce département français de l’océan Indien. 

 

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