Lafargue avait raison
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« Quelles sont les races pour qui le travail est une nécessité organique ? Les Auvergnats ; les Écossais, ces Auvergnats des îles Britanniques ; les Gallegos, ces Auvergnats de l’Espagne ; les Poméraniens, ces Auvergnats de l’Allemagne ; les Chinois, ces Auvergnats de l’Asie. » Nul lecteur du Droit à la paresse de Paul Lafargue n’a pu se montrer étonné de voir les Auvergnats de l’Asie remplacer en peu d’années les tenanciers arvernes des bars-tabacs. La stigmatisation et la prohibition dans les lieux publics de l’herbe à Nicot ont suffisamment affecté le chiffre d’affaires des buralistes pour qu’ils envisagent de vendre. Mais à qui proposer un commerce qui décline ? À des gens qui y trouvent d’abord un autre avantage que l’argent.
Les Chinois sont aux bars-tabacs des années 2000 ce que les Maghrébins ont été, dans les années 1970, aux épiceries de quartier. Les premiers d’entre eux à avoir investi dans ces affaires y ont été poussés par la concurrence de leurs compatriotes dans l’activité qu’ils exerçaient précédemment. Celui-ci tenait une boutique de produits alimentaires, celui-là un restaurant, ce troisième un magasin de maroquinerie, cet autre, un atelier de confection. Tous quatre étaient établis à Paris de longue date, mais l’arrivée massive de nouveaux émigrants chinois, clandestins ou en règle, a bouleversé la donne dans le commerce auquel ils s’adonnaient. Des concurrents sont apparus, qui pouvaient compter sur une main-d’œuvre sous-payée, souvent non déclarée, presque toujours corvéable à merci, celle que composent des hommes et des femmes qui ont payé entre 16 000 et 25 000 euros pour « passer » en France et qui doivent non seulement venir en aide à ceux qu’ils ont laissés au pays, mais encore rembourser ceux qui leur ont permis de le quitter.
Ayant cassé les prix de revient, les nouveaux arrivants ont conduit leurs prédécesseurs à abandonner leur commerce et même à le leur céder. Les délogés, ayant analysé les causes de leur malheur et cherché à y échapper dans l’avenir, ont compris que les bars-tabacs représentaient une activité à l’abri de la concurrence. Le nombre de ces commerces est en effet réglementé par l’État, lequel, en outre, exige de ceux à qui il accorde son autorisation qu’ils soient de nationalité française ou possèdent un passeport d’un pays de l’Union européenne et qu’ils parlent notre langue. Sans compter que l’administration dispense une formation ad hoc à ceux qu’elle a retenus et qu’elle leur réserve le monopole de la vente des produits de la Française des jeux.
Ingénieux, organisés, travailleurs, ils sont aussi, comme les Aveyronnais, habitués à utiliser ce système d’épargne mutuel et de financement participatif qu’est la tontine. Ils ont su avec une remarquable rapidité rentabiliser ces affaires mal parties, notamment en mutualisant les achats en gros et en éliminant de leurs présentoirs les produits les moins demandés (les fumeurs de pipe me comprendront). Là où le bar-tabac proposait une restauration minimale à midi sur le comptoir, ils ont su conserver cet atout jusque dans les détails. M’enquérant du plat du jour auprès du serveur chinois d’un établissement nouvellement acheté à un natif de Mur-de-Barrez, je l’entends encore me répondre avec un accent digne du Lotus bleu : « saucisse aligot ». Vous avez dit Auvergnats de l’Asie ?
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