« J’ai commencé mes études en 2007, quand c’était vraiment le boom, tout le monde étudiait la finance. Mais à la fin de la première année, la douche froide : les banques n’embauchaient plus. » Aujourd’hui banquier conseil en restructuration et financement à Londres, Charles P. a persévéré pour travailler dans le secteur. Mais beaucoup de ses camarades ont abandonné, optant pour l’entrepreneuriat ou un bon poste chez l’un des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Il faut dire que le métier de trader a perdu de sa superbe. « Il y a beaucoup moins d’excitation, on frissonne moins », reconnaît Olivier*. Jusqu’en 2009, il était chargé de contrôler la conformité des opérations au sein d’une banque française. Un poste de casse-pieds, « mal vu et mal payé », chargé de censurer les collègues lorsqu’ils jonglaient un peu trop avec les millions. « On baignait dans une culture du risque disproportionné, une ambiance de cow-boys, se souvient-il. Si un trader s’ennuyait, il pouvait mener des stratégies très risquées, comme celles de Kerviel, et ça passait. Maintenant c’est banni, le facteur discrétionnaire individuel a quasiment disparu. » 

Après le cataclysme de 2008, en effet, la réglementation a douché les ardeurs des banques. Les départements spéculatifs ont fermé. Les montants que les traders peuvent jouer en Bourse ont fondu, de même que leur rémunération variable. Indexée sur leurs gains, elle pouvait atteindre trois ou cinq fois leur salaire fixe. « Certains gagnent moins aujourd’hui qu’avant la crise, il y a dix ans ! » raconte Charles.

Sans compter que leur sensation de liberté en a pris un coup. « Je dois faire valider n’importe quelle opération en suivant tout un nombre de procédures, raconte Simon*, trader pour une banque française. S’il m’arrivait d’en faire une en dehors des clous, mes collègues du département Risques me demanderaient immédiatement de l’annuler. »

Les traders, donc, croulent sous les procédures de compliance (conformité), tandis que les contrôleurs ont gagné en aura. Leur nombre a explosé, leur salaire peut atteindre celui des traders, et leur métier n’est plus vu comme une voie de garage. « Maintenant, le contrôle est fait avec sérieux et avec des moyens, apprécie Olivier, l’ex-contrôleur. Certains chargés de la conformité sont d’anciens traders, ils savent où regarder. »

Lassés de cet encadrement permanent, des financiers s’orientent vers les « boutiques », ces sociétés indépendantes qui conseillent les entités avant qu’elles investissent. « On arrive à recruter des gens qui étaient chez Merrill Lynch ou chez Goldman Sachs, car ici on fait vraiment des transactions, pas seulement de la paperasse », assure Charles P., salarié d’une de ces sociétés.

D’autres financiers, les plus drogués à l’adrénaline, s’orientent vers les hedge funds, ces fonds dont la fonction est justement de spéculer. « Là-bas, ils peuvent garder ce côté chien fou. En banque, ça n’existe quasiment plus », assure Simon, le trader. Le risque d’une crise systémique s’en trouve atténué : si un hedge fund explose, il n’entraînera pas le reste du secteur dans sa chute.

Les banques sont-elles pour autant à l’abri de la folie financière ? Olivier, l’ancien contrôleur, nuance : « Un chargé de conformité reste soumis à la main qui le nourrit. Si je signale une opération trop risquée et que la direction de la banque y tient, c’est elle qui aura le dernier mot. » 

Mais pour les trois financiers, les risques ne résident plus dans la folie des traders. L’un s’inquiète pour les prêts des étudiants américains (« C’est 1,5 trillion de dollars, et on a déjà des cas d’étudiants qui n’arrivent pas à rembourser »). L’autre craint une crise de la dette publique, par exemple en Italie. Quant au troisième, il tremble à l’idée que Donald Trump assouplisse encore la réglementation du secteur. « Clinton l’a fait dans les années 1990 et en deux décennies, ça nous a pété entre les doigts », rappelle-t-il. Ajoutant que, si les banquiers américains sont devenus plus raisonnables, ce n’est pas le cas de leur président. 

* Ces prénoms ont été modifiés.

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !