C’était il y a dix ans. La faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers sonnait, pensait-on, la fin d’un monde. De la croyance que l’argent pouvait tout. Que le capitalisme, vainqueur par K.-O. du communisme, permettrait à chacun de s’enrichir. Que l’avidité des maîtres de Wall Street était vertueuse si elle permettait aussi aux gens modestes de réaliser leurs rêves, d’acquérir par exemple une maison à crédit. Mais le 15 septembre 2008 sonna le glas des illusions. Ce que l’argent pouvait faire, il pouvait le défaire. Avec une rare violence. Semer la ruine et la désolation sur son passage. Jeter à la rue des centaines de milliers de petits propriétaires soudain incapables de payer pour le toit qu’ils avaient sur la tête. Envoyer au chômage des millions d’employés aux États-Unis et, par contagion, sur la planète entière. La financiarisation de l’économie, pendant virtuel de la mondialisation triomphante, nous donnait une bonne leçon. Les marchés, pas plus que les arbres, ne grimpent jusqu’au ciel. Et quand les Bourses plongent, il n’existe plus aucun refuge tangible, ni les murs de maisons acquises à des taux devenus exorbitants, ni les placements de « père de famille » pollués par des instruments toxiques inventés par des génies des maths aux calculs diaboliques. Ce qui restera comme la « crise des subprimes » fut un choc de réalité, un retour sur terre en passant par la case désastre, après l’explosion d’une bulle spéculative viciée. À force de déréguler, de libérer les capitaux comme on lâche des chiens fous, le système bancaire mondial s’était changé en casino. Sur ce champ de ruines, le candidat socialiste de 2012 pouvait désigner sans se tromper son véritable adversaire. « Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, assenait François Hollande devant la foule du Bourget. Il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. » Force est de constater qu’une décennie plus tard, ce monde-là dirige encore le monde. Une telle crise, admettent les experts, pourrait se reproduire demain. En attendant, aucun des responsables de cette folie spéculative n’a jamais été inquiété, condamné, emprisonné. Les riches ont accru leurs fortunes, tandis que les plus pauvres s’enfoncent plus encore dans la pauvreté. Les « bullshit jobs » – ou boulots à la con – selon l’expression de l’anthropologue David Graeber (auteur du livre du même nom aux Liens qui libèrent) ont proliféré. Sans doute est-ce le pire des méfaits de la finance : priver nos vies de sens. 

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