Quelle image les Français ont-ils de l’Union européenne ?

Les Français entretiennent avec l’UE un rapport complexe. D’un côté, celle-ci leur est familière. Ils ont bien compris qu’elle faisait partie du paysage politique, et qu’elle avait un impact non négligeable sur les décisions politiques, y compris au niveau national, et sur leur vie quotidienne. Mais, d’un autre côté – et c’est assez spécifique à la France –, une grande partie des Français considère l’Europe avec une forme de distance soupçonneuse, une méfiance envers les institutions et les directives européennes. Les Français sont en majorité (54 %) convaincus que l’UE a un impact négatif sur leur pays, et plus du tiers d’entre eux (36 %) jugent qu’elle a des répercussions également négatives sur leur vie personnelle, selon ce qu’indique un panel électoral réalisé par Ipsos en avril. C’est plus que dans bien d’autres pays européens comparables. Cette méfiance, qui peut rapidement se muer en opposition frontale, se manifeste tout particulièrement dans les moments de tensions politiques – on l’a vu avec la crise des agriculteurs, lors de laquelle la PAC a concentré une grande partie des critiques.

La France fait en effet partie des pays européens qui s’intéressent le moins aux élections européennes et qui ne voient que peu d’impact positif dans l’action de l’UE. Ce désamour est-il nouveau ?

Le pessimisme français vis-à-vis de l’Europe n’est pas récent, et je pense que nos responsables politiques y sont pour beaucoup. Depuis des décennies, gouvernements et hommes politiques de tous bords ont volontiers rejeté la faute, dans tout ce qui n’allait pas, sur l’Union européenne, ses directives et ses contraintes. L’UE est, pour bon nombre de politiciens français, un excellent bouc émissaire pour se défausser de leurs propres responsabilités ou de leurs difficultés à mettre en œuvre ou à imposer certaines politiques nationales, notamment lorsqu’elles ne correspondent pas aux attentes des citoyens. Cela peut en partie expliquer la méfiance des Français vis-à-vis de l’UE, à la différence d’autres pays qui se sont montrés plus pédagogues, qui ont mis l’accent sur les bienfaits politiques, juridiques, économiques ou sociaux de l’UE.

À l’approche des élections européennes, quels sont les sujets qui occupent le plus les Français ?

D’après ce même sondage d’Ipsos, les enjeux les plus importants pour les Français sont la crise migratoire (42 %) et le changement climatique (36 %), particulièrement mis en avant par les plus jeunes. Pour 44 % des moins de 35 ans, en particulier chez les jeunes femmes, la lutte contre le réchauffement climatique doit être un enjeu prioritaire.

Spécificité française, la question du pouvoir d’achat, et plus largement de « l’Europe sociale », est également particulièrement présente. C’est intéressant, car de nombreux autres pays ont été fortement touchés par l’inflation, tels que l’Espagne ou encore l’Italie. Pourtant, ils n’ont pas la même préoccupation par rapport à l’état économique du pays et à son impact sur leur quotidien que les Français.

Par contraste, les enjeux liés à la géopolitique, à la défense, à l’armement, au positionnement politique de l’UE, fortement mis en avant par le président Macron dans son discours sur l’« Europe-puissance » du 25 avril, sont nettement moins représentés : 28 % pour la défense commune, 24 % pour le renforcement de l’UE face à la Chine ou aux États-Unis, et seulement 13 % en faveur de l’aide à l’Ukraine. Certes, la peur de la guerre est exprimée par une grande partie des Français, en particulier sur le plan émotionnel, affectif. Selon le sondage réalisé pour Arte par BVA Xsight, 62 % des Français craignent une menace de guerre en Europe (un chiffre qui correspond strictement à la moyenne européenne). Mais elle est diluée dans une angoisse plus générale, et passe à l’arrière-plan face à des considérations plus pressantes comme les « fins de mois » et la peur du déclassement.

Il y a un risque de hiatus entre, d’un côté, un pouvoir politique qui axe son projet européen sur la défense et la coopération communautaire, sur les enjeux régaliens et géostratégiques, et, de l’autre, une population en attente de réponses claires et opérationnelles sur les questions de société comme le pouvoir d’achat, l’immigration, la santé et, bien sûr, les problématiques environnementales.

La France est-elle le seul pays dans ce cas ?

L’étude comparative qui vient d’être réalisée pour Arte par BVA Xsight confirme la spécificité de la France. Sur la plupart des enjeux, les Français jugent toujours plus négativement l’impact des décisions européennes. En matière d’environnement, seuls 29 % les jugent favorablement (40 % dans l’ensemble de l’UE), d’éducation (20 % contre 31 %), de sécurité (26 % contre 38 %), ou encore de santé (27 % contre 31 %). Elle révèle aussi un net désinvestissement des Français par rapport aux élections européennes. Le niveau de leur intérêt pour ces élections est parmi les plus faibles : 52 % contre 70 % dans l’ensemble de l’UE. C’est beaucoup moins que dans certains pays voisins comme l’Italie (71 %), l’Espagne (73 %) ou encore l’Allemagne (78 %).

En revanche, sur les questions de défense et sur la préoccupation de la guerre, les Français se montrent plus alignés sur les positions de l’ensemble des Européens. 

Le scrutin du 9 juin, en France, va-t-il être avant tout déterminé par des considérations nationales ?

C’est certainement ce qui va primer, oui, même si de récentes études ont montré que l’européanisation des enjeux progressait malgré tout. Toutefois, les élections européennes restent des élections intermédiaires, utilisées par les citoyens français – sous les encouragements des partis de l’opposition ! – pour faire entendre leur mécontentement et communiquer un message au gouvernement en place. Dans un moment de tension où la popularité du président de la République ne cesse de chuter, on peut s’attendre à ce que ce message soit particulièrement clair.

Certes, ce sera également le cas dans d’autres pays. Mais, en France, si l’on met bout à bout les intentions de vote pour le Rassemblement national, Reconquête et d’autres petites listes de la même sensibilité, on dépasse les 40 %. Et c’est sans compter la France insoumise, elle aussi très critique envers l’UE. C’est-à-dire que près d’un votant sur deux s’apprête à donner sa voix sinon à des forces souverainistes, à tout le moins eurosceptiques.

Le rapport des Français à l’Europe est plus compliqué qu’une simple opposition entre pro-UE et anti-UE. La tension se situe plutôt au niveau des modalités d’articulation entre projet européen et projet national. Selon les données recueillies en avril par Ipsos, une minorité d’entre eux (24 %) souhaite que l’UE prenne à l’avenir de plus en plus de décisions dans le cadre de politiques communes, tandis que 35 % préfèrent un recentrage sur les États membres. La tentation du « Frexit » demeure très faible et ne parle réellement qu’aux franges les plus extrêmes de l’électorat. Mais le sentiment d’appartenance des Français à l’Europe reste plus faible que dans bien d’autres pays. D’après l’enquête de BVA Xsight, près des deux tiers d’entre eux (64 %) se sentent seulement français, soit une proportion nettement supérieure à la moyenne mesurée dans l’ensemble des pays de l’UE (57 %). 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

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