Le 6 août, peu après l’annonce du choix de son colistier par Kamala Harris, Tim Walz, gouverneur du Minnesota, était si peu connu que le Parti démocrate local expliquait encore aux télévisions comment prononcer son nom. « Walze et non Waltz », précisait le tweet officiel. Les temps ont changé. Deux petites semaines plus tard, le 21 août, lors de son intronisation triomphale comme candidat à la vice-présidence sur la scène de la convention démocrate de Chicago, une foule en délire donnait du « Tim ! Tim ! Tim ! » à cet ancien prof d’histoire-géo et entraîneur de football américain bardé de galons pour ses vingt-quatre années dans la réserve nationale, adulé comme le nouveau guerrier du renouveau démocrate.

Le parti, confiné aux côtes Est et Ouest urbaines, décrié comme élitiste par le populisme républicain, entrevoit une revanche dans cet oiseau rare politique : l’un des gouverneurs les plus progressistes d’Amérique, élu en 2018 après douze années au Congrès comme représentant démocrate d’une des circonscriptions rurales les plus… conservatrices du Minnesota, promoteur depuis six ans de la gratuité des cantines scolaires, du droit de vote pour les détenus libérés et des traitements pour transsexuels interdits dans les États républicains. Ce modèle de pragmatisme, d’écoute et de flair électoral s’incarne dans un portrait-robot de l’Amérique de l’intérieur, un papy du Midwest imposant et affable aux sourcils broussailleux, aux chemises à carreaux informes et au bagout jubilatoire, dont les casquettes kaki de chasseur de canard – répliques aux couvre-chefs rouges Make America Great Again de Trump – s’arrachent à 40 dollars pièce sur le site de la campagne démocrate.

Il révélait l’autre cœur de l’Amérique, l’héritage solidaire et tolérant des sociaux-démocrates allemands

Peu de temps avant l’appel de Kamala Harris, Tim Walz, en rhéteur du bon sens et du « populisme optimiste », avait gagné son quart d’heure de célébrité en décrivant Donald Trump et J.D. Vance comme « bizarres ». Ce qualificatif anodin, dans la bouche d’un natif du Nebraska rural, petit-fils d’un boucher et l’un des quatre enfants d’un ancien combattant de la guerre de Corée, retournait à l’envoyeur républicain son prétendu monopole sur les valeurs américaines et son obsession du déclin national. Il révélait l’autre cœur de l’Amérique, l’héritage solidaire et tolérant des sociaux-démocrates allemands, immigrés au xixe siècle dans le Midwest et dans les bastions industriels des Grands Lacs, héritage longtemps étouffé par la chape conservatrice et ultrareligieuse.

Kamala Harris aurait pu choisir Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie, pour faciliter sa victoire dans un État pivot clé de la présidentielle. Mais plutôt que de traiter avec cet éloquent quinquagénaire déjà tenté par le Bureau ovale, la première femme noire candidate à la Maison-Blanche a misé sur la loyauté d’un Tim Walz, dépourvu, à 60 ans, d’autre ambition que la vice-présidence. Son colistier, pour être issu d’un Minnesota encore majoritairement démocrate, est aussi écouté par les électeurs des États voisins en balance comme le Michigan et le Wisconsin. Il offre un autre atout : sa masculinité éclairée et humaine, possible alternative au machisme trumpien, pourrait motiver les électeurs hommes toujours moins enclins que les femmes à voter démocrate.

À 17 ans, Tim Walz, comme des milliers d’autres ruraux, avait signé pour la réserve de l’armée de terre, autant par patriotisme que dans l’espoir de voir du pays et de se faire payer ses études universitaires par l’État américain. Muté dans les années 1980 dans un lycée public de Mankato, un bourg au sud de Minneapolis, le prof adulé s’est taillé une légende en ouvrant un espace de dialogue entre « gays et straights » dans l’école à la suite du harcèlement d’un élève homosexuel, mais aussi en tant qu’entraîneur de football américain, portant, à force de harangues de vestiaires et d’encouragements dans les stades, l’équipe locale nullissime à la victoire au championnat de l’État. À la convention de Chicago, il appelait les démocrates à « mettre le paquet sur le terrain ». Et le message a été entendu. 

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