Où en sommes-nous du projet européen ? Soixante-cinq ans après le traité de Rome, trente après celui de Maastricht, l’Europe, cette terre floue « à l’aspect large », selon l’étymologie grecque, reste ce drôle de navire secoué par les tempêtes, cet animal à sang froid régulièrement gagné par des accès de fièvre. Ses critiques la disent condamnée, incapable de faire taire ses dissensions, étouffée par ses procédures, ses arguties, son impuissance. Et pourtant, elle avance, à coups d’accélération inattendue, accrochée à son rêve d’union sous son ciel étoilé. Et de fait, c’est surtout lorsque les nuages s’amoncellent qu’elle sort la tête. Après les soubresauts de la pandémie, la guerre en Ukraine a ainsi replacé l’Europe au centre de la carte, et, avec elle, le besoin d’un destin commun. Car, face à l’autocrate du Kremlin, les peuples du continent ont compris la nécessité de l’unité, les bienfaits de la collégialité, du débat, du compromis. L’Europe, c’est la paix, comme le veut la formule consacrée, mais c’est aussi la démocratie, l’entraide, le refus des dérives impérialistes. Confrontés au défi de Poutine, Est et Ouest ont jusqu’ici affiché une solidarité nouvelle, sur le plan politique, militaire, mais aussi culturel et humain, qui donne à songer à d’autres lendemains.

C’est pourquoi, à quelques jours du 9 mai, traditionnelle journée de l’Europe, nous avons proposé à plusieurs chercheurs, historiens et philosophes originaires de ces deux flancs du continent, si longtemps séparés, de réfléchir à notre avenir. Un numéro conçu en partenariat avec l’École normale supérieure, fer de lance de cette coopération avec, notamment, le lancement cette année d’un master d’études européennes. « Face à la guerre et aux crises communes, il faut créer l’Europe de la discussion, entre les pays, entre les générations, entre les événements et les savoirs, entre le recul historique et l’invention de l’avenir, entre les lettres et les sciences ! estime son nouveau directeur, Frédéric Worms. C’est la vocation de l’École normale supérieure de participer à ce débat public, avec un réseau européen, au cœur du contemporain. » Depuis 2017, l’ENS soutient notamment le programme Pause, pour l’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil, ainsi que de leurs familles, dans des établissements français. Depuis mars, ce programme s’est ouvert aux chercheurs ukrainiens, mais aussi aux dissidents russes et biélorusses. Avec ce numéro spécial, le 1 hebdo s’associe à cette volonté d’accueil et de promotion d’une Europe du savoir et des humanités, qui partage jusqu’à l’Ukraine davantage que les couleurs d’un drapeau. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !