Le 24 février 2022, l’histoire est revenue sur notre continent. Nous nous sommes soudain rendu compte que l’Europe, plus que jamais au XXIe siècle, avait besoin d’unité et de solidarité, et qu’elle était obligée de se constituer en puissance. Selon l’homme politique polonais Jerzy Giedroyc (1906-2000), c’est bien l’indépendance de l’Ukraine, de la Biélorussie et des États baltes qui garantit la paix en Europe. Il s’agit donc d’assurer la sécurité de l’Europe centrale et orientale et, par conséquent, de toute l’Europe.
Cette expression d’« Europe centrale et orientale » a été utilisée pour la première fois par l’historien polonais Oskar Halecki, qui l’a présentée en 1923 lors d’un colloque international à Bruxelles. Avec l’Ukraine à sa périphérie, cet espace forme une zone géopolitique dont le contrôle a été très disputé au fil des siècles – d’abord par les Ottomans, les Habsbourg, les Roumains, puis l’Allemagne, la Russie, l’Union soviétique. Cette région est ainsi devenue le baromètre de l’Europe, son épine dorsale, le flanc est de l’Ouest, et fait donc partie intégrante de l’Europe puissance. Située entre l’Allemagne et la Russie, elle a été le théâtre des plus grands conflits armés des deux derniers siècles, des guerres napoléoniennes à nos jours, en passant par les Première et Seconde Guerres mondiales. Et une fois de plus, en 2022, c’est probablement en Europe centrale et orientale que se jouera le sort du monde occidental pour les prochaines décennies.
Le baromètre de l’Europe, son épine dorsale
Les défis sont immenses. Le système autoritaire en Biélorussie, la guerre en Ukraine, les signes d’érosion du pouvoir en Russie, la guerre récente entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le conflit gelé en Transnistrie et l’évolution de la situation en Moldavie, les revirements de la diplomatie turque à l’égard de la Russie, la politique des États-Unis, de l’Otan et de l’UE, une nouvelle crise consécutive dans l’UE (après celle de la zone euro, celle de l’immigration et celle de la pandémie de Covid), les changements politiques en lien avec les élections aux Pays-Bas et dans les trois plus grands États membres de l’UE – l’Allemagne, la France et l’Italie… tout cela incite à penser que les pays du flanc oriental de l’Otan et de l’UE devraient renforcer au maximum leur propre capacité à faire face à ces enjeux. Ils en ont le potentiel, ainsi que les capacités de coordonner des actions à une portée et dans des directions telles qu’ils deviendraient complémentaires de l’Europe occidentale, afin de créer ensemble une Europe puissance sur un pied d’égalité.
Fin août 2017, dans un entretien à l’hebdomadaire polonais Tygodnik Powszechny, l’historien américain Timothy Snyder soulignait que la construction de l’UE a reflété la capacité de l’Europe à se remettre de l’effondrement de sa puissance passée et à rassembler ce qui restait de son ancienne gloire. C’était une communauté de vaincus, fondée pour sauver ce qui pouvait l’être et ce qui devait encore être défendu. L’Union s’est avérée une bénédiction pour les États souverains libres. Si tout au long de l’histoire, la chute d’un empire a signifié la chute de sa civilisation, l’Europe, elle, a réussi à reconstruire et à renforcer la sienne malgré la chute de son empire. La démocratie en Europe a survécu grâce à l’Union. Et la démocratie européenne, qui doit garantir qu’aucun pays de l’Union ne sera gouverné par des forces autocratiques, interdit qu’un empire soit reconstruit aux dépens des autres États.
Un ordre mondial est en train d’émerger
Dans l’histoire de l’Europe centrale et orientale, il n’y a pas d’exemple de capitulation sans combat face à une invasion étrangère. Le défi russe auquel l’Europe est confrontée est sérieux, et les mesures pour y faire face seront difficiles ; elles impliquent le développement de ses propres capacités militaires et la réaffirmation d’une défense solidaire en cas d’agression. Aujourd’hui, un ordre mondial est en train d’émerger. Il reste incertain pour la sécurité de l’Europe centrale et orientale et de toute l’Europe. En effet, la communauté transatlantique se renforce. Elle demeure l’un des éléments majeurs de l’ordre international qui revêt une importance capitale pour la situation géopolitique des pays de toute l’Europe, lesquels n’ont actuellement pas d’autre solution que de trouver un appui extérieur solide pour leur sécurité. Mais l’UE, en tant que puissance politique mondiale, liée par des liens étroits aux États-Unis, devrait être en capacité de cocréer cet ordre international. C’est une entité importante, avec laquelle la Russie et les autres puissances émergentes devraient compter. Les efforts visant à renforcer la politique de sécurité et de défense commune de l’UE (PSDC), ainsi que le resserrement de la coopération UE-Otan, revêtent à cet égard une importance particulière. Dans le cadre de ces structures, les pays d’Europe centrale et orientale renforcent leur rôle en développant leur coopération au sein de plateformes telles que le groupe de Visegrád (même si la guerre en Ukraine a mis en évidence la position très favorable de la Hongrie vis-à-vis de la Russie, et engendré une crise de cette coalition, au point de provoquer une suspension de la coopération dans ce format), Bucarest 9, l’Initiative des trois mers et le Triangle de Lublin. Chacune d’elles constitue un élément de stabilisation de la situation sécuritaire et un instrument supplémentaire pour faire face aux menaces qui résultent soit de l’agressivité russe, soit de problèmes internes à l’UE et aux États-Unis.
La sécurité européenne est fortement influencée par les processus qui se déroulent dans l’environnement international global. Ceux-ci se caractérisent par une dynamique et des changements très complexes, ainsi que par l’apparition de menaces asymétriques. Les définir, les contrecarrer et assurer la sécurité est l’une des tâches les plus importantes et, en même temps, les plus difficiles. Ce rôle important revient à l’UE, ce sont sa puissance et sa force. L’Europe est confrontée au défi russe dans une situation internationale marquée par une présidence plutôt forte de Joe Biden, une politique européenne active visant à renforcer la PSDC et un monde transatlantique uni. À elle de saisir cette opportunité de redevenir une puissance.