Bertolt Brecht - Nos défaites ne prouvent rien
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1
Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.
2
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous.
3
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
4
Ah ! mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
5
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
Traduction de Bernard Lortholary, Poèmes, 3
© L’Arche Éditeur, Paris, 1966
Les manifestations peuvent se tenir de jour, mais aussi de nuit. Pour argumenter tant qu’il y a de la lumière et, le soir venu, vivre ensemble. Est-ce suffisant pour transformer des rassemblements en véritables forces de proposition ? En 1928, dans L’Opéra de quat’sous, Brecht faisait chanter aux truands : « La bouffe vient d’abord, ensuite la morale ! » Il dénonçait l’homme qui exploite, et tendait un miroir aux voyous bourgeois, mais sans proposer de programme. Cinq ans plus tard, initié au marxisme, il quittait l’Allemagne nazie ; ses œuvres étaient brûlées. Nos défaites ne prouvent rien date de cette époque. Deux camps s’opposent dans la première strophe ; ils auront la parole à tour de rôle. D’abord, « ceux qui vivent en sécurité » cherchent à disqualifier, par des maximes, les mots de leurs interlocuteurs identifiés au vous. Puis, ceux qui « luttent contre l’injustice » semblent chercher à résoudre cette confrontation. Pour mieux appeler, en fait, à rejoindre leur combat, en distinguant, subtils rhétoriciens, ceux qui agissent de ceux qui regardent. La fin claque comme une gifle : le poète a choisi sa cause. Aujourd’hui, une partie de la jeunesse et de la population française trouve un exutoire dans le discours public, au mépris du danger. Il faut se réjouir que l’engagement et la responsabilité se trouvent à nouveau au cœur des débats. Et espérer que cette onde collective libère des consciences. Roland Barthes ramenait le théâtre brechtien à un unique problème, posé à chaque spectateur : « Comment être bon dans une société mauvaise ? »
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