William Shakespeare - Cette parcelle bénie…
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Ce noble trône de rois, cette île porteuse de sceptres,
Cette terre de majesté, cette résidence de Mars,
Cet autre Éden, ce demi-paradis,
Cette forteresse bâtie par la Nature pour elle-même
Contre la contagion et la main de la guerre,
Cette heureuse race d’hommes, ce petit univers,
Cette pierre précieuse sertie dans une mer d’argent,
Qui fait pour elle office de rempart,
Ou de douve défendant la maison,
Contre la jalousie de pays moins heureux,
Cette parcelle bénie, cette terre, ce royaume,
cette Angleterre […]
This royal throne of kings, this sceptr’d isle,
This earth of majesty, this seat of Mars,
This other Eden, demi-paradise,
This fortress built by Nature for herself
Against infection and the hand of war,
This happy breed of men, this little world,
This precious stone set in the silver sea,
Which serves it in the office of a wall,
Or as a moat defensive to a house,
Against the envy of less happier lands,
This blessed plot, this earth, this realm, this England […]
La Tragédie du roi Richard II, acte II, scène I © Gallimard, 1998, pour la traduction française de Jean-Michel Déprats
En 1399, en Angleterre, on dépose un roi. L’événement renverse un monde. Près de deux siècles plus tard, William Shakespeare fait de cette abdication forcée le sujet de La Tragédie du Roi Richard II. Ou comment un changement exceptionnel de lignée dynastique permet de mieux comprendre le fonctionnement monarchique, entre pouvoir absolu et contrat d’un peuple avec son souverain. Les premiers actes de la pièce dévoilent un Richard II assassin et dépensier, sans souci du bien commun. Mais la suite de l’œuvre démontre son courage et sa grandeur face à l’adversité inédite. Ils préservent l’ambiguïté du message shakespearien. John of Gaunt, duc de Lancastre, dit les vers ci-dessus à la première scène de l’acte II. Lui-même mourant, il dépeindra bientôt une Angleterre donnée à bail et ceinturée par la honte. Mais, avant ce tableau désolé, les premières lignes de sa tirade, que nous reproduisons ici, font l’éloge de son pays. Elles constituent la première partie d’une phrase de vingt et un vers, au verbe principal reporté à la fin. La répétition du même démonstratif this à des moments différents de chaque vers en installe le rythme, incantatoire et mouvant. Le royaume y devient tour à tour trône, jardin, univers, dans un constant passage du micro au macrocosme. Résidence du dieu Mars, paradis terrestre, pierre précieuse : les images hyper-boliques scandent l’hymne patriotique. Avec l’insularité comme qualité principale et la mer en défenseur de cette singulière beauté. L’Angleterre protégée du continent ne pourra jamais être conquise indignement que par elle-même.
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