La reine n’est pas une potiche
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Les Anglais ont un sixième sens, affirmait Lewis Carroll, et c’est celui du nonsense. La reine Elizabeth II est la figure totémique de cette philosophie de défi au bon sens. Ainsi, depuis 1952, la souveraine prend son petit-déjeuner en écoutant tous les matins pendant quinze minutes un garde royal écossais en kilt jouant de la cornemuse dans le jardin sous ses fenêtres. Quand le chef de l’État voyage à l’étranger, ses bagages contiennent toujours une bouilloire électrique pour préparer son thé favori, des bouteilles d’eau de Malvern et des pots de marmelade à l’orange.
Au-delà de cette excentricité de bon aloi, que signifie l’institution monarchique aujourd’hui ? En théorie, Elizabeth II ne règne en fait que sur les cygnes, les baleines et les esturgeons, propriétés royales depuis 1324, croisant dans les eaux territoriales de son royaume. En réalité, en incarnant la nation au-dessus de la mêlée partisane sans détenir les leviers du gouvernement, la souveraine assure à la démocratie un équilibre inégalé.
Et malgré les limites à son pouvoir, le monarque n’a rien d’un chef d’État potiche cantonné à l’inauguration des chrysanthèmes. Outre son rôle institutionnel dans ce royaume de constitution non écrite où tout repose sur l’usage et la jurisprudence, la reine est aussi le gouverneur suprême de l’Église anglicane, religion officielle, le chef des armées et de la grande famille d’outre-mer, le Commonwealth. Enfin, elle incarne la « monarchie-providence » par le truchement des milliers d’associations caritatives que la famille royale parraine.
Son autorité repose d’abord sur la légitimité de l’histoire. La royauté soude les maillons de la chaîne britannique à travers les âges. D’Egbert de Wessex aux Windsor, l’Angleterre se sent éternelle. « La reine est supposée être meilleure que nous, meilleure que notre société, créant un sentiment de confort, de nostalgie nécessaire pour nous permettre de supporter la vie en commun », insiste l’anthropologue Nigel Barley.
Pour toutes ces raisons, les partisans d’une république n’ont jamais eu d’impact sur l’opinion, sauf durant la première moitié du xixe siècle sous les Hanovriens. Aux yeux de ses sujets, la monarchie paraît le moins mauvais des systèmes, comme Churchill disait de la démocratie.
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