Oui, sans aucun doute, nous sommes fous, mais chacun de manière différente. Nos choix électoraux ne révèlent que la confusion de nos préoccupations intimes.

Chers descendants de Voltaire qui croyez que les Anglais ont découvert le secret de la liberté, je dois vous confesser que celle-ci n’est plus notre premier souci. La liberté politique a laissé trop de gens avec le sentiment qu’on n’écoute pas ce qu’ils disent et n’apprécie pas ce qu’ils font : l’ambition la plus urgente de nos jours est d’être estimé, compris et reconnu en tant qu’individu singulier. Et au lieu de l’égalité, dont nous ne sommes jamais parvenus à jouir véritablement, c’est l’affection de nos intimes que nous cherchons aujourd’hui : elle seule rend tolérable les injustices que nous subissons. La fraternité est aussi en crise, car nous connaissons rarement nos voisins, et l’aide de l’État nous est accordée avec réticence, sans nous remercier de ce que nous avons donné aux autres dans des temps meilleurs. Ce qui nous manque maintenant, c’est de sentir que nous sommes pleinement en vie.

Certes, la richesse nous obsède, mais elle est devenue cauchemar aussi. La prospérité a pris un sens nouveau. Dans la City de Londres elle-même, temple de la finance, un mouvement de protestation discrète – l’association Escape the City – a réuni plus de 100 000 employés généreusement payés qui veulent s’en évader, jugeant leur travail trop ennuyeux, stressant et futile. Dans maintes professions, les jobs proposés conviennent de moins en moins aux gens instruits, curieux et indépendants, car l’éducation encourage la critique et le goût de l’aventure. À travers les siècles, chaque fois qu’une explosion démographique s’est produite, des formes originales de travail ont été inventées – agricole, industrielle, publique et de service – et aujourd’hui un milliard de jeunes chômeurs sont en quête d’un avenir épanouissant. Notre but est de développer une philosophie du business nouvelle, capable de susciter leur enthousiasme.

La réussite est désormais mesurée par la qualité des relations personnelles plutôt que par le statut. Nous nous sentons isolés non seulement par la spécialisation professionnelle, mais encore plus par la pénurie d’âmes sœurs, et parce que les lois n’ont pas amélioré la qualité de l’amitié entre les sexes. Nous nous demandons : comment ne pas gâcher sa vie ? Jusqu’à présent, se connaître soi-même était le remède et nous avons cru que les souvenirs de notre propre enfance déterminaient notre destin. Mais on découvre beaucoup mieux ce que vivre pleinement signifie en découvrant les autres et la mémoire des autres. Je remercie les Français de m’avoir inspiré une méthode nouvelle pour se souvenir du passé et imaginer le futur. Français, fous ou lucides, les Anglais ont besoin de vous ! 

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