Dès le début de l’offensive russe, on s’est empressé de protéger la statue par une pyramide de sacs de sable. N’émergent plus que la tête, couronnée de laurier, et les bras : celui de gauche tient un rouleau, tandis que l’autre, à demi tendu vers la mer, semble dire bienvenue aux visiteurs.

Le grand homme, provisoirement masqué, qui trône en pied au sommet du célèbre escalier d’Odessa, est français. Une inscription rappelle qu’il avait fait construire la ville à la demande de Catherine II, puis du tsar Alexandre Ier : « Au duc Emmanuel de Richelieu, gouverneur de 1803 à 1814 de la Nouvelle-Russie qui fut à la base du bien-être d’Odessa, ses habitants reconnaissants… »

« Bon choix assurément : c’est l’homme de France qui connaît le mieux la Crimée ! »

« Le duc », comme on l’appelle ici, en se donnant rendez-vous au pied de sa statue, a donné son nom à une rue, un lycée, un jardin, un cinéma, une boîte de nuit… Même les deux cents marches, immortalisées par Le Cuirassé Potemkine, étaient officiellement « l’escalier Richelieu ».

À la Révolution française, ce noble avait émigré et s’était engagé dans l’armée russe, avant de devenir le premier maire d’Odessa. Revenu en France, il a été ministre des Affaires étrangères et Premier ministre de Louis XVIII. « Bon choix assurément : c’est l’homme de France qui connaît le mieux la Crimée ! » ironisait Talleyrand, dévoré de jalousie.

Richelieu regrettait d’avoir quitté Odessa, en train de devenir la « perle de la mer Noire ». Il est mort en 1822, sans avoir pu la revoir.

Quatre ans plus tard, on le sculptait en bronze, curieusement vêtu d’une toge romaine. Un certain Alphonse Chapellon, qui laisserait moins de traces que Rimbaud ou Verlaine, lançait un cocorico : « Oui, j’aime Odessa, morbleu ! / Et je conçois qu’on s’y plaise : / Odessa, par Richelieu / Est d’origine française ! » 

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