Nous vivions au nord du futur, les jours ouvraient  
des lettres avec une signature d’enfant, une framboise, une page de ciel.  

Ma grand-mère jetait des tomates  
de son balcon, elle mettait une couverture d’imaginaire  
sur ma tête. J’ai peint  
le visage de ma mère. Elle comprenait  
la solitude, cachait les morts dans la terre, comme les partisans.  

La nuit nous a déshabillés (j’ai compté ses pulsations)  
ma mère dansait, elle remplissait le passé
avec des pêches, des ragoûts. Cela a fait rire mon docteur, sa petite-fille
a touché ma paupière, j’ai embrassé

le creux de son genou. La ville a tremblé,  
un bateau fantôme prenait la mer.  
Et mon camarade de classe a trouvé vingt noms pour désigner les Juifs.  
C’était un ange, il n’avait pas de nom,  
nous avons lutté, oui. Mes grands-parents ont combattu  

les tanks allemands sur des tracteurs, j’ai gardé une valise pleine  
de poèmes de Brodsky. La ville a tremblé,  
un bateau fantôme prenait la mer.  
La nuit, je me suis réveillé pour chuchoter : oui, nous sommes vivants.  
Nous sommes vivants, oui, ne dis pas que c’est un rêve.  

À l’usine locale, mon père  
a pris une poignée de neige et l’a mise dans ma bouche.  
Le soleil a commencé son récit habituel,  
a blanchi leurs corps : mère, père, qui dansaient, bougeaient  
alors que l’obscurité parlait derrière eux.  
C’était en avril. Le soleil lavait les balcons, avril.  

Je raconte l’histoire que la lumière grave  
au creux de ma main : Petit livre, va en ville sans moi. 

Traduction par Catherine Selosse présentée sur le site ilyakaminsky.com
Ilya Kaminsky, Dancing in Odessa © Tupelo Press, 2004

Poème choisi par Louis Chevaillier

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