Le contenu des délibérations du comité Nobel est tenu secret pendant cinquante ans. Mais les murs ont des oreilles, et le 1 n’allait quand même pas attendre un demi-siècle pour révéler à ses lecteurs ce dialogue éloquent entre deux membres du jury.

– Je reconnais qu’Annie Ernaux est un excellent auteur…

– Autrice. En France, ils disent maintenant autrice.

– Si vous voulez. Une excellente autrice, mais ça nous ferait un Français de plus. Ils ont déjà eu 15 Nobel de littérature sur 118 lauréats. Mieux que les États-Unis (12) et loin devant le Royaume-Uni (10). On nous a assez reproché d’avoir préféré à Tolstoï, en 1901, un certain Sully Prudhomme dont la poésie est totalement ignorée aujourd’hui par ses propres compatriotes.

– Peut-être, mais nous avons primé Churchill, et pas de Gaulle, qui avait pourtant un joli coup de plume.

– Nous sommes passés à côté de Proust, de Zola, de Céline, de Malraux…

– Oh, les recalés appartiennent à toutes les nationalités ! Mais je me méfie des Français. Rappelez-vous comment Sartre nous a jeté le prix à la figure en 1964. Et Roger Martin du Gard a failli nous faire faux bond vingt-sept ans plus tôt.

– Ah ?

– Vous n’étiez pas encore né. En novembre 1937, apprenant qu’il avait le Nobel, l’auteur des Thibault, pris d’une sorte de panique en pensant à tout ce qui l’attendait, s’est littéralement enfui. On a fini par le retrouver. Et je dois dire qu’ensuite, ici, il s’est admirablement comporté. Vingt ans plus tard, c’est lui qui a coaché Camus, lui conseillant de suivre « humblement » tout le cérémonial, y compris « les révérences », pour ne pas passer à côté de cette « expérience exceptionnelle ».

– Ils sont bizarres, ces Français !

– Et ne parlons pas des Françaises ! Il paraît que celle-ci est insoumise. Ça promet ! 

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