La première fois que je vis François Hollande, ce devait être en 1982. Frais émoulu de l’ENA, il donnait chaque semaine avec Jean-Pierre Jouyet un cours d’économie en amphithéâtre pour les élèves des Sciences Po préparant l’ENA. On appelait ça la « direction d’études Hollande-Jouyet ». C’était l’époque où les Sciences Po disputaient au KGB le titre de royaume mondial de la fiche : toute question, tout problème pouvait faire l’objet d’une exposition, voire d’une résolution en deux parties et deux sous-parties sur une fiche bristol utilisable pour un oral de concours. Le monde en fiche, c’est peut-être l’un des aspects de la question Hollande, d’ailleurs. Il faut croire que ce découpage-là convenait alors aux jeunes élites cravatées, qu’elles fussent de droite ou de gauche. Hollande adjuvante, je fus donc reçu à l’ENA. L’homme était plus mince alors, un peu rougeaud, à peine ancien élève de cette fameuse promotion Voltaire dont on peut se demander, après l’avoir tant louée, ce qu’elle léguera à la France. Ségolène Royal, une sainte traquée par la chambre régionale des comptes ? Dominique de Villepin, un avocat qatari dont les poèmes semblent écrits par Bruno Le Maire ? Michel Sapin, le Sancho Pança des rustines financières ? Et François Hollande, donc.

L’une des clefs du personnage réside sans doute dans cet aveu lâché un jour, et qui lui semble tomber sous le sens : il ne lit jamais de romans. La chose se combinant avec son désir, en 2012, d’être un président normal. À mon avis, c’est un double contresens. La France, jusqu’à Mitterrand, fut un pays de politique littéraire, obéissant à la double sacralité du verbe et du pouvoir – de grands écrivains permettant de respirer la langue et les terroirs, des chefs d’État qui n’avaient rien de « normal ». Telle est la question. Hollande s’est toujours comporté comme le bon petit copain de l’ENA qui anime les jamborees de promotion, gagne immanquablement au jokari, et tombe des filles dont l’éducation catholique a été corrigée par la contraception orale. En termes d’incarnation, c’est court. Le double corps du roi, cher à Kantorowicz, ne se rencontre pas dans les chaussettes blanches du vestiaire échauffé après la partie de foot entre anciens élèves.

Mais il est vrai que le septième président de la Ve République appartenait à la génération du baby-boom tardif, la mienne aussi, qui a passé son enfance à construire des maquettes d’avion de guerre sans avoir connu la guerre. Le plaisir, c’était alors de faire passer des trains miniatures sous des tunnels de fer-blanc. Au PS, situé rue de Solférino – bataille au cours de laquelle Henry Dunant inventa d’ailleurs la Croix-Rouge –, François Hollande a continué à jouer aux petites autos. Il dirigeait les Norev vers le pont tandis que les Dinky Toys empruntaient la trémie. C’est ce que l’on appelle l’art de la synthèse. Et puis, au PS, de notoriété publique, tout le monde s’aime, car la supériorité morale de la gauche procède de l’amour du prochain. François Hollande y fut heureux. Il chevauchait ces petits dragons japonais que l’on nomme scooters, lesquels permettent de rejoindre dans des restaurants à cuisine canaille des êtres bienveillants nommés journalistes, avec lesquels on casse la croûte et un peu de sucre sur le dos des camarades de courants. De toute façon, l’abbé Delors était là, après le bœuf Strogonoff, pour prodiguer des absolutions. 

En somme, c’est une vie de camarade. Non pas la roborative réunion à la salle Louis-Aragon avec les copains métallos, le PCF ayant rouillé en même temps que jaunissaient les films de Jean Renoir. Mais la bonne camaraderie réformiste qui tient chaud, avec parfois un coussin péteur sous la chaise d’un rocardien distrait, ah la bonne blague, et le confort du lait maternisé qui a donné une belle assurance aux enfants fréquentant l’école primaire sous Michel Debré. Une fois président, François Hollande a aussi mené une vie de camarade. Pour jouer à colin-maillard, on distribua les foulards entre Jean-Marc (de Nantes), Jean-Yves (de Lorient), François (de la Côte-d’Or) et Ségolène (dissidente du Carmel), quelques autres encore. Ils sont tous très gentils. Quand ils étaient petits, ils lisaient Fripounet et Marisette ou les albums de Peyo. Dans les aventures de Buck Danny, on voyait des avions qui font la guerre. À l’Élysée aussi, il y a un centre de commandement aérien. On peut donc dire que la vie ressemble à une bande dessinée, même si de méchants mahométans sortis des albums d’Iznogoud viennent vous enquiquiner périodiquement.

En serions-nous là ? Le pouvoir est affaire de décision autant que de récit. Fleur -Pellerin, de profil HEC-ENA-Cour des Comptes, n’a pas lu Modiano. Elle partage ce cursus scolaire avec François Hollande. Quand le général de Gaulle voulait distiller des confidences, il conviait Malraux à Colombey, et cela donnait Les Chênes qu’on abat. Quand le président normal a voulu montrer un profil normal, il a rencontré à soixante reprises deux folliculaires avides de scoops, dont on me dit qu’ils sont désormais surnommés « Melon et Melon » par la rédaction du Monde, car ils se la pètent grave. Toujours la BD, en somme – il y a d’ailleurs une excellente exposition Hergé en ce moment au Grand Palais, à deux pas de l’Élysée. Qui est François Hollande ? Mystère et boule de gomme. Surtout boule de gomme. On aurait envie de lui dire, comme dans Le Cid : « Va, je ne te hais point. » Mais la pièce de Corneille, natif de Rouen, n’est pas au programme avant la classe de sixième. Et puis, François Hollande est né le 12 août 1954. Ce même mois paraissait un nouvel album de Tintin. Son titre ? On a marché sur la Lune. 

 

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