Il n’est de pire cruauté que le rappel des mots que l’on a un jour écrits. En novembre 2009, -François Hollande constatait fièrement : « Aujourd’hui, je suis libre. Je n’ai de comptes à rendre à personne. Je me détermine en fonction de ce que je crois juste et vrai. » À l’avant-veille de sa campagne électorale, il dressait dans son livre Droit d’inventaires le portrait d’un homme neuf auquel, sept ans plus tard, il croit encore. L’orgueil est toujours là, ce jeudi 1er décembre, lorsqu’il annonce sa capitulation élyséenne. Douze minutes pendant lesquelles il ne parle que de lui-même, de son bilan, commentateur, comme toujours, de son action dans une inflation de « je » qui laisse de côté l’avenir de la France et abandonne son camp aux désordres qu’il a lui-même créés au cours de son quinquennat.

Ce n’est pas par le sort des Français que l’homme qui s’en va est accablé, mais par son funeste destin personnel. À son tour, François Hollande va subir ce « droit d’inventaire » qu’il revendiquait pour régénérer son image après avoir passé onze années à la tête du Parti socialiste où il laissait le souvenir d’un homme certes intelligent, habile, mais vêtu de grisaille, obsédé par la crainte de voir son parti se déchirer. C’était le temps où ses amis politiques ne se privaient pas de le railler en public. Lui-même amateur de bons mots, il avait pris en apparence le parti de sourire de ces sarcasmes. Rien ne laissait transparaître la moindre irritation. Orgueilleux, il avalait les couleuvres sans broncher, attendait son heure sans que personne ne perce ses secrets ou ne comprenne sa véritable personnalité. 

Nul n’avait imaginé que, derrière ce visage empathique, se cachait une ambition hors norme, une volonté inoxydable, un caractère en acier trempé, une authentique vanité. « Un monstre », dit même aujourd’hui un de ses anciens compagnons de route, abandonné dans un cul-de-basse-fosse pour un malheureux faux pas que la justice n’a même pas jugé bon de sanctionner. Personne n’avait compris que ce palais de l’Élysée, qu’il occupe depuis quatre ans maintenant, était le rêve de sa vie. Chacun de ses pas depuis son entrée officielle en politique en 1981 fut guidé par cette obsession. La même que celle de ses prédécesseurs qui, eux, en revanche, ne la dissimulaient pas. François Hollande a fait la chattemite pendant près de trente ans, masquant la voracité de son appétit de pouvoir, « troublant l’eau autour de lui pour pêcher en eau trouble », pour reprendre les mots d’Arthur Schnitzler dans Relations et solitudes : il a trompé son monde, tout sourire au-dehors, mais le cœur dur comme la pierre. Lui-même l’a involontairement avoué à la télévision, face à David Pujadas le 28 mars 2013. Pour preuve de ses qualités d’homme d’État, il déclarait ce soir-là : « J’ai le sang froid. » Un lapsus qui en dit plus long sur lui que tous les commentaires. « Garder son sang-froid », c’est-à-dire sa présence d’esprit dans l’épreuve, est sans aucun doute une vertu présidentielle indispensable. « Avoir le sang froid » est tout autre chose, une caractéristique reptilienne, l’expression d’une absence totale de sentiments.

Sans tomber dans une analyse sémantique caricaturale, sans doute est-il plus juste de dire que cet homme vibre d’abord pour lui-même. Son sujet principal est sa propre personne. Ses conférences de presse, ses interventions publiques, « son » livre-confessions « Un président ne devrait pas dire ça... » et son renoncement en sont les révélateurs : spécialisé dans le commentaire de ses propres faits et gestes, jusqu’à se qualifier lors de son intervention du 14 juillet 2015 de président le plus « audacieux » que nous ayons connu, son usage du « je » est toujours immodéré. Cet égotisme est consubstantiel à la présidence version Ve République, mais il est singulier chez François Hollande : son ego submerge sa conscience de l’altérité. L’autre, bien sûr, existe mais il n’est pas considéré, sauf pour être instrumentalisé.

Le triptyque récit-volonté-leader qui devait incarner son projet se termine en échec et mat. Certes, il se plaît maintenant à proclamer, sans doute pour se consoler de sa Bérézina, que « c’est la trace qu’il laissera » qui compte. Et de citer en particulier comme grand œuvre de son quinquennat un sigle, le CICE, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et le pacte de responsabilité. Peut-être est-ce une grande réforme pour l’énarque de la Cour des comptes qu’il est, mais cela traduit-il une certaine idée de la France ? Plus monarque que leader tant il s’est complu dans le costume de président, affable mais n’écoutant que son intelligence, arrogant dans son savoir-faire tactique, jamais ses mots ne sont allés au-delà de sa culture technocratique. On ne fait pas rêver avec le terme « compétitivité » aussi décisive que soit celle-ci dans le monde actuel ! Georges Pompidou, référence hollandaise, savait parler autrement de la France industrielle qu’il s’employait à construire : il en faisait le dessin et son dessein. Sa culture le portait aussi bien au-delà des contingences économiques. Féru d’art moderne, conscient que les réformes s’effacent avec le temps mais que les monuments le traversent, il fit édifier Beaubourg, plantant ainsi son drapeau pour l’histoire au cœur même de Paris. François Hollande ne porte pas en lui ce supplément d’âme qu’offre la culture. Il n’aura laissé aucune empreinte architecturale ou muséale majeure illustrant son goût ou sa passion artistique. Et pour cause, au-delà de la chansonnette, il n’en a pas. 

Le beau n’est pas qu’une affaire d’esthétique, c’est également une question de cœur. Il s’appelle alors générosité et altruisme. Parce qu’il plaide le respect de sa vie intime, il est bien difficile de percer l’armure qui masque les sentiments profonds de François Hollande. Il n’en montra publiquement que lors du décès de sa mère. Pour le reste, cet homme cache ses affects. L’affabilité est sa règle de vie publique mais elle est trompeuse. La manière dont il congédia Valérie Trierweiler dévoila une absence d’élégance. La réplique fut à la hauteur, si l’on peut dire ! Passons sur cet épisode de cour, peu glorieux, néanmoins symptomatique. Certes, sa voix blanche, son buste courbé ont trahi son émotion lors de son intervention télévisée de fin de partie. Mais c’est sous le poids de son destin interrompu qu’il pliait. Pas sous celui d’une France qui doute et souffre ou sous celui de son camp qu’il a transformé en champ de ruines.

Cet homme est en fait un théoricien de l’ingratitude. Il la juge inhérente à l’exercice du pouvoir. Pourquoi pas ! Plus préoccupant, il l’a aussi chevillée au corps. En dehors de lui-même, il considère qu’il ne doit rien à personne, notamment sa conquête du pouvoir. Il a vécu sa présidence dans la même solitude que sa marche vers la victoire. Il sort de scène en solitaire. Quiconque revendique la moindre influence sur lui s’abuse. Sa confiance s’arrête à sa personne. Ce narcissisme, finalement, le dévoile plus qu’il ne l’imagine. Implacable avec les autres, il est complaisant avec lui-même, jusque dans cette autocélébration à l’heure du tomber de rideau. Il s’est imaginé « audacieux » parce qu’il a fait un choix social-démocrate qui bouscule les vieilles rengaines de sa famille politique mais il n’est jamais allé au bout de son audace. Il a hésité sans cesse entre la France de la mer, porteuse d’aventures, et la France de la terre, conservatrice et inquiète. Ainsi est-il devenu illisible, impopulaire. Son monde est le flou, même s’il n’y a pas de loup dans son histoire, simplement un caractère étrange où se mêle autoritarisme, incertitude et vanité. Nul doute qu’il voudrait qu’on dise que ce coup d’éclat final du 1er décembre est un acte « courageux », mais sa décision ressemble à un refus de l’obstacle, du combat, d’une défaite annoncée. Que les autres aillent au massacre à sa place. 

Nos partenaires européens le perçoivent d’ailleurs ainsi. Combien de promesses fermes faites ici ou là lors de voyages chez nos voisins, jamais suivies d’effet ! Demandez aux dirigeants roumains ou hollandais : François Hollande n’est pas l’homme de la parole tenue. L’indifférence et le rejet actuel des Français, y compris de gauche, se nourrissaient de cette illisibilité faite d’hésitation, d’inconstance, de roublardise. Dès le deuxième mois de son mandat, ils ont refusé de lui reconnaître cette autorité qui fait la trempe des présidents. Ils le ressentaient génétiquement Normand, « p’t-être ben que oui, p’t-être ben que non ». Ses sourires ne séduisaient plus. Sa simplicité ne trompait plus. Son habileté ne convainquait plus. « Libre », disait-il en 2009. Oui, mais prisonnier de lui-même et de son intelligence, il était devenu un « inventeur d’hypnose » qui n’endormait plus personne. Il a surtout semé la désolation politique autour de lui, encouragé la rébellion, fabriqué son échec. Pour sauver les meubles et câliner son ego, il a imaginé une sortie singulière. Il va découvrir que, comme l’a écrit René Char, « il n’y a pas d’absence irremplaçable ». 

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