« Hidalgo ? Au-delà du périphérique, c’est peanuts ! » Quel journaliste politique n’a jamais entendu les adversaires de la maire de Paris se gausser ainsi ? Le sous-entendu : Anne Hidalgo incarne trop la capitale pour ne pas être déconnectée des « territoires », ce concept flou mais à la mode. Autrement dit : les querelles autour des pistes cyclables semblent secondaires, voire hors sujet, à l’électeur contraint d’emprunter chaque jour sa voiture pour avaler les kilomètres qui séparent son travail de sa zone pavillonnaire. En général, après ce rictus caustique, l’interlocuteur médisant ajoute le substantif « bobo ». Et s’il est d’humeur diserte, il conclut d’un : « Souvenez-vous de la révolte des Gilets jaunes contre les élites parisiennes et leurs délires écolos. Hidalgo candidate, c’est l’assurance d’un score à un chiffre ! » Alors, conquérir la France depuis l’Hôtel de ville de Paris : mission impossible ?

À l’évidence, Paris n’est pas un échantillon représentatif du pays. Les « cadres et professions intellectuelles supérieures » y représentent quasiment la moitié de la population active, contre 20 % à l’échelle nationale. Mais les 105 kilomètres carrés de la capitale (intra-muros) abritent tout de même une partie des enjeux prioritaires d’une campagne présidentielle. Le prix du logement. L’insécurité et la lutte contre le trafic de drogue. La lutte contre la pollution. Sans oublier l’attractivité et le tourisme. Paris est l’une des villes les plus visitées au monde. La France, dans son ensemble, fait partie des destinations les plus prisées. La gestion d’une telle métropole constitue donc un apprentissage précieux pour qui compte diriger un pays. D’autant que la notion d’expérience, jugée en 2017 désuète car « ancien monde », pourrait redevenir une valeur ajoutée en 2022 – l’inexpérience des députés marcheurs n’ayant pas particulièrement fait ses preuves…

Passer de la mairie de Paris à l’Élysée ? Le chemin existe : Jacques Chirac l’a débroussaillé. Mais il fut élu en occultant son « parisianisme ». En 1995, avec une campagne de terrain, voire de terroir, il a joué de ses (lointaines) origines dans le Massif central pour montrer qu’il connaissait le pays. « J’aime quitter Paris pour, comme je dis, rentrer en France », lance-t-il, lyrique, sur les plateaux de télévision. Cette double attache lui évite de passer pour le défenseur du microcosme. Comme lorsque François Mitterrand lui présente, dans les années 1980, les pharaoniques « grands travaux » culturels que le président envisage pour Paris. Jacques Chirac lui répond alors : « En tant que maire de Paris, je suis aux anges. En tant que député de Corrèze, je suis horrifié. Ça veut dire que la totalité des moyens disponibles à la Culture sera dévolue à la capitale », selon un propos rapporté par Franz-Olivier Giesbert dans La Tragédie du président (Flammarion, 2006).

Voici la deuxième jambe qui manque à Anne Hidalgo, pour l’heure : un ancrage qui lui permette de ne pas envisager les décisions au travers du seul prisme parisien. Elle en a conscience. Depuis plusieurs semaines, n’a-t-elle pas entamé son « tour de France » ? La maire de Paris mise sur l’un des derniers atouts du Parti socialiste : son implantation locale. Johanna Rolland à Nantes, Michaël Delafosse à Montpellier, Philippe Martin dans le Gers, Stéphane Troussel en Seine-Saint-Denis… Ces élus répètent à qui veut l’entendre qu’« Anne connaît bien mieux les régions qu’on ne le dit ». Son amie Carole Delga, présidente sortante de l’Occitanie, loue ses « valeurs paysannes ». « De plus, elle ne fait pas bourgeoise, ni dans son style vestimentaire ni dans son expression. Ça n’est pas quelqu’un qui parle à tort et à travers et en province, on apprécie ça ! » ajoute-t-elle dans Midi libre.

Dans le vocabulaire politique, « Paris » revêt une double acception. C’est à la fois la ville dirigée depuis 2001 par les socialistes, mais aussi l’incarnation du pouvoir national, centralisé et vertical. Anne Hidalgo s’attache à ce qu’on ne confonde pas les deux. Elle se place ainsi en opposante frontale des décisions de l’exécutif ou des services de l’État. Par exemple, sur la décision de concéder un jardin public parisien aux toxicomanes, elle déplore un « aveu d’impuissance » de la préfecture de police. Après son revirement sur la création d’une police municipale à Paris (elle a longtemps été contre), elle n’hésite plus à investir les sujets nationaux. Ainsi s’est-elle prononcée en faveur du RSA pour les jeunes de moins de 25 ans.

Mais peut-on gérer une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants et mener efficacement une campagne nationale ? De Martine Aubry (Lille) à Alain Juppé (Bordeaux), aucun des grands féodaux n’a réussi à obtenir le premier rôle. Au point qu’on peut s’interroger sur une « malédiction des barons ». Sous la Ve République, les socialistes doivent leur plus mauvais score (5 %) à Gaston Defferre… maire de Marseille. 

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