Récit d’une manipulation
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Paul Kagamé, président de la République du Rwanda, n’a pas de mots assez durs pour critiquer la justice française. Il est prêt à tout pour empêcher qu’elle juge les méthodes qu’il a utilisées pour arriver au pouvoir. Tout, y compris l’élimination physique de ceux qui veulent témoigner contre lui. Deux « petits » juges installés dans la galerie Saint-Éloi, le pôle antiterroriste du Palais de justice de Paris, tiennent en effet son destin entre leurs mains. Bien sûr, par déformation professionnelle, le dictateur Kagamé ne peut croire une seconde que la justice française soit indépendante. Pour lui, ces deux magistrats sont de simples grouillots des autorités. Et, partant de cette analyse, il compte bien faire plier Paris en utilisant chantages et menaces en tout genre.
Il a de bonnes raisons de s’accrocher à cette idée puisqu’elle a déjà fonctionné lorsque Nicolas Sarkozy était à l’Élysée. Ce dernier avait tout mis en œuvre pour entraver le cours de la justice qui désigne, depuis dix ans, l’actuel chef d’État rwandais comme le commanditaire de l’attentat du 6 avril 1994, à Kigali, contre l’avion présidentiel rwandais, un Falcon 50 immatriculé 9XR-NN. Un attentat qui a pulvérisé l’avion en provoquant la mort de Juvénal Habyarimana, son prédécesseur, comme du président du Burundi, de leur suite et des trois Français qui composaient l’équipage. Neuf collaborateurs de Kagamé sont aujourd’hui poursuivis des chefs d’attentat en relation avec une entreprise terroriste. Et le président rwandais a fait lui-même l’objet d’une demande auprès du secrétaire général des Nations unies pour que soient engagées contre lui des poursuites par le Tribunal pénal international du Rwanda.
Pour comprendre l’acharnement du président Paul Kagamé, il faut d’abord avoir en tête le fossé entre deux lectures du drame rwandais, celle qui se rapproche de la réalité et celle imposée par Kagamé pour asseoir sa légitimité. La première est la suivante : le drame rwandais est une guerre civile sauvage entre Tutsis et Hutus, les deux principaux groupes de population du pays. Guerre inaugurée en octobre 1990 par une agression armée des Tutsis de la diaspora installée en Ouganda, avec le soutien de l’armée ougandaise, puis relancée par l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. Les extrémistes hutus commencèrent alors ce qu’on appela, jusqu’à la fin des années 1990, « le génocide des Tutsis et des Hutus modérés ».
Dans la seconde lecture, le roman fabriqué par Kagamé et ses relais, le drame rwandais se résumerait à un affrontement entre le Bien et le Mal, entre les bons Tutsis et les Hutus génocidaires. Kagamé aurait mené une guerre de libération nationale contre un régime ayant programmé le génocide des Tutsis avec l’aide de la France. Il aurait mis un terme au génocide et pris in fine le pouvoir, le 12 juillet 1994, malgré l’aide apportée par les militaires français aux Hutus.
C’est ce roman-là que les juges français contestent en désignant Paul Kagamé comme le commanditaire de cet attentat dont les exécutants forment aujourd’hui l’armature de l’État rwandais.
En effet, il y a au moins un fait sur lequel presque tout le monde est d’accord : la mort du président Juvénal Habyarimana est le « facteur déclenchant du génocide ». Comme l’explique une des meilleures sources sur le drame rwandais, l’ancienne procureure du Tribunal pénal international Carla Del Ponte : « S’il était avéré que c’est le Front patriotique rwandais des Tutsis qui a abattu l’avion du président Habyarimana, c’est toute l’histoire du génocide du Rwanda qu’il faudrait réécrire. »
Comment la justice française se retrouve-t-elle dans la position de dire la vérité historique sur les atrocités commises dans ce petit pays des Grands Lacs ? Comment le comprendre alors que le Rwanda ne faisait pas partie du « pré carré » français ? Dès le lendemain de l’attentat, le Conseil de sécurité demandait à Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, de lui présenter un rapport sur l’événement dans les plus brefs délais. C’était sans compter les obstructions systématiques de Kagamé. Mais voilà, l’équipage du Falcon 50 était composé de trois Français, et leurs familles, à partir de la fin du mois d’août 1997, déposent plainte contre X. Saisi à Paris, le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière commence l’enquête. Il reconstitue l’histoire des deux lanceurs et des missiles dont l’un a touché l’avion. Il parvient à établir qu’ils font partie d’une commande de quarante missiles SAM 16 passée en 1987 par l’Ouganda à l’Union soviétique. Puis la preuve est rapportée que le Front patriotique rwandais a utilisé des missiles issus de ce lot en 1991 et que deux lanceurs ont été retrouvés près de la ferme de Masaka, d’où a été tiré l’engin qui a abattu l’avion. Le juge Bruguière entend également de nombreux témoins directs et indirects qui lui permettent de reconstituer la genèse et l’exécution de l’attentat. Pendant ce temps-là, les réseaux pro-Kagamé mènent une campagne efficace pour installer en France le roman du Front patriotique rwandais (FPR) en traitant ceux qui s’en écartent de négationnistes e
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