Madame la Superviseuse Générale de l’Expression publique,

En réponse à l’appel à candidatures publié par votre administration, j’ai l’honneur de postuler les fonctions de Pédagogue National chargé de la diffusion des normes culturelles et de la prophylaxie des discriminations que le gouvernement crée sous votre autorité au ministère des Cultures, des Communications et de la Pluralité. Comme votre appel le demande, je vous présente l’esprit et quelques-unes des mesures que je préconise et qui constitueraient le socle de mon action.

Je pense indispensable que l’action du Pédagogue National soit d’abord celle d’un précepteur. En cela, il sera fidèle à l’intitulé de son poste, mais aussi, grâce à cela, lorsqu’il lui faudra prononcer des sanctions, elles auront été précédées d’un tel travail d’explication qu’il lui sera facile de répondre aux récriminations toujours envisageables dans une société encore mal guérie de son vieil individualisme et d’une conception fourvoyée de la liberté. Pour incarner et accomplir cette œuvre didactique, je propose qu’une formation soit rendue obligatoire pour toutes les personnes qui exercent ou se proposent d’exercer un métier d’expression. Cette formation pourra prendre la forme d’un stage au cours duquel les nécessités de l’action préventive des discriminations et de la stigmatisation ne seront pas seulement rappelées, mais pendant lequel les prescriptions concrètes découlant de cette nécessité seront traduites en exemples réalistes et feront l’objet d’études de cas et d’exercices pratiques.

À l’issue de ce stage, un certificat d’aptitude à l’expression publique sera attribué aux participants qui le mériteront. Ce document sera valable un an, obligatoire pour l’exercice de toute profession dite artistique et renouvelable après un examen des œuvres réalisées. Ainsi, nul auteur, nul metteur en scène de théâtre, d’opéra ou de cinéma, nul chorégraphe, nul plasticien ne pourra rester dans l’ignorance, volontaire ou accidentelle des responsabilités qui sont les siennes au regard de l’expression publique.

Par exemple, dans le cinéma, les réalisateurs et réalisatrices devront, pour respecter les impératifs de santé publique, bannir absolument l’usage du tabac et proscrire la consommation d’alcool à l’écran.

La traque des discriminations sera particulièrement attentive à celles liées au genre. Les théâtres devront embaucher à égalité absolue des metteurs et des metteuses en scène. Ils et elles seront à leur tour soumis à l’obligation de distribuer les rôles à parité. Dans une œuvre qui ne comportera pas un nombre égal de personnages masculins et féminins, il leur reviendra de confier à des comédiennes les emplois jusqu’à présent dévolus à des hommes. Cette obligation incontournable trouvera sa justification non seulement dans les nouveaux principes édictés par le ministère, mais encore dans l’histoire des arts de la scène, qui a vu, notamment à l’époque de Shakespeare, les rôles de femme interprétés par des hommes. Inversement, les chorégraphes seront contraints de tenir dans les ballets une exacte proportion entre les danseurs et les danseuses. C’est ainsi que Le Lac des cygnes devra être dansé moitié par des hommes et moitié par des femmes.

Pour mener à bien l’action qu’exige la moralisation des expressions artistiques, je crois utile de rappeler que je suis titulaire d’un certificat de psychorigidité. 

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