Je me souviens de l’instant où j’ai vraiment su.
Les saules perdaient leur chaleur,
Le visage dans le bassin était beau, mais il n’était pas le mien –
Il avait un air important, comme tout le reste,
Et je ne voyais que des dangers : des colombes, des mots,
Des étoiles et des pluies d’or – conceptions, inséminations !
Je me souviens d’une aile blanche et froide

Et du grand cygne, avec son regard terrible,
Venant sur moi, comme un château, du haut du fleuve.
Il y a du serpent dans les cygnes.
Il a glissé près de moi ; son œil contenait un message sombre.
J’ai vu le monde en lui – petit, méchant et sombre,
Chaque petit mot attelé à chaque petit mot, les actes aux actes.
Quelque chose avait germé de ce jour chaud et bleu.

Je n’étais pas prête. Les nuages blancs se sont rués
Dans les quatre sens.
Ils m’ont écartelée.
Je n’étais pas prête.
Je manquais de respect.
Je pensais pouvoir nier les conséquences –
Mais c’était trop tard. C’était trop tard, et le visage s’est peu à peu précisé amoureusement, comme si j’étais prête.

 

Dans La Cloche de verre, l’unique roman de Sylvia Plath, l’héroïne se fait poser un diaphragme avant d’envisager des relations sexuelles. Un tel dispositif est à l’époque encore interdit au Massachusetts ; mais comment espérer un peu de la liberté qu’ont les hommes, quand on court le risque d’être enceinte ? De nombreux poèmes de Sylvia Plath sont consacrés à la maternité. Des textes remplis par la beauté du « don / de ton petit souffle, l’odeur d’herbe / mouillée de ton sommeil ». Avant que celle qui se voulut une mère et une épouse parfaite, en même temps que grande poétesse, ne se suicide à trente ans. Parmi ses chefs-d’œuvre, le poème méconnu Trois femmes, dont est extrait ce passage. Trois voix y exposent trois visions de la maternité. Une mère comblée célèbre son fils, comme le visage de son cœur. Une secrétaire se remet difficilement d’une fausse couche dans l’indifférence de son mari. Enfin, une étudiante s’apprête à abandonner l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. C’est elle qui parle dans les vers ci-dessus, terrorisée par cette beauté que la société lui impose, bientôt « montagne, parmi les femmes-montagnes ». Comme si notre civilisation patriarcale l’avait dépossédée de son organisme. Aujourd’hui, voici que l’utilisation de la pilule est remise en cause en raison de ses dangers. Plutôt que d’y voir une terrible contradiction entre liberté et santé, ne faut-il pas y lire une continuation de l’assujettissement du corps féminin à la société ? Aux hommes de prendre aussi des précautions et leurs responsabilités. 

 

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