Qui aurait pu envisager un tel revirement de l’histoire ? À l’aube de Mai 68, la pilule était l’instrument luciférien entre tous aux yeux des badernes gaullistes, celui qui allait poignarder dans le dos les familles, favoriser les amours illicites en tout genre, répandre partout la semence, une semence d’autant plus menaçante qu’infertile. « Jouir sans entraves », telle était la promesse du dangereux comprimé, et les féministes applaudissaient la fin d’un long esclavage, celui de l’amour fait la peur au ventre. Aujourd’hui, changement complet de climat, c’est la pilule elle-même qui se voit soudain perçue comme une entrave aux yeux de certaines femmes. Une aliénation qui les contraint à abîmer leur corps, sous l’action d’hormones de synthèse, le tout pour le bon plaisir des mâles bien sûr. Une discrimination aussi, puisque certains suspectent les recherches sur la contraception masculine de piétiner faute de vraie volonté, comme si ces affaires devaient se régler discrètement entre filles. Le débat suscité par la dangerosité des pilules dite « de troisième et quatrième générations » au début des années 2010 a terni durablement l’image sociale et symbolique de la pilule. D’émancipatrice, celle-ci est devenue inquiétante pour toutes sortes de gens. Tous les mois, on sort de nouvelles études horrifiques sur les effets secondaires du précieux cachet, sésame pour l’orgasme sans panique du lendemain. Récemment encore, fin 2016, une étude danoise entendait établir un lien entre celui-ci et les troubles psychosomatiques les plus graves. Un million de femmes en âge de procréer auraient ainsi été scrutées, le risque dépressif augmentant spectaculairement avec la prise d’un contraceptif oral.

Qui dit mieux ? Un vrai rêve de vieux conservateur en pantoufles. Plus besoin de lutter contre la pilule maudite, les féministes s’en chargent. Les réactionnaires cacochymes qui s’étaient mis en travers de la loi Neuwirth lors des discussions parlementaires de 1967 se voient ainsi accorder une belle revanche posthume. Ainsi du député et médecin Jacques Hébert qui avait annoncé qu’avec la pilule notre pays était menacé par une « flambée inouïe d’érotisme, entretenue et attisée par la propagande politique ». Ou d’un de ses confrères à l’Assemblée nationale qui avait évoqué un « viol de la conscience médicale », les médecins se voyant selon lui scandaleusement obligés de dispenser l’odieux cachet dans un pur « souci d’agrément ». Ou encore d’un certain Jean Coumaros, grenouille de bénitier combative, affirmant dans l’hémicycle que la pilule engendrerait « le néant » en se plaçant en travers de l’« œuvre sublime du Créateur ». Au-delà de ces considérations désormais remisées, c’est la liberté sexuelle elle-même que certains de ses vieux adversaires guettent aujourd’hui encore à l’horizon. Ils la guetteront toujours. Celle des femmes bien sûr. C’est ainsi que toutes sortes d’adeptes de la « Manif pour tous » se frottent déjà les mains face à ces querelles sanitaires anti-pilule, et se saisissent de l’occasion pour dénoncer au passage la permissivité encouragée par nos sociétés hédonistes libérales. Non pas, comme le faisait le cinéaste et écrivain Pier Paolo Pasolini, au nom d’une conception plus haute de l’érotisme, mais tout simplement pour réhabiliter les censures. Aujourd’hui que ces affaires semblent acquises, beaucoup ont baissé la garde. La pilule a lassé. Comme beaucoup de choses sur terre, elle ne va pas sans inconvénients. On espère un jour ne pas avoir à le regretter. 

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