Faut-il arrêter la pilule ? Cinquante ans après l’adoption de la loi Neuwirth qui en dépénalise l’usage, les Françaises sont de plus en plus nombreuses à remettre en question le fameux comprimé, pourtant synonyme de libération sexuelle pour plusieurs générations de femmes. Alors que 50 % d’entre elles y avaient recours en 2010, elles n’étaient plus que 41 % à peine trois ans plus tard. Une chute brutale qui traduit une perte de confiance des femmes à l’égard de la contraception orale, au profit de méthodes alternatives comme le stérilet, l’implant, ou le bon vieux préservatif. La pilule, qui figure pourtant parmi les contraceptifs les plus fiables, mérite-t-elle un tel désamour ? Pour comprendre cette méfiance grandissante, remontons à l’été 2006, quand une prescription imprudente a bien failli coûter la vie à une étudiante en parfaite santé.

 

La 3e Génération mise en cause

Marion Larat a 18 ans lorsqu’elle s’effondre, un soir d’été, sur le sol de sa salle de bains. Victime d’un accident vasculaire cérébral, l’étudiante orléanaise se réveille hémiplégique et aphasique. Malgré neuf opérations et des mois de rééducation, elle ne parvient pas à recouvrer l’intégralité de ses capacités. Handicapée à 65 %, elle doit apprendre à vivre avec un corps diminué et une interrogation douloureuse : « Comment cela a-t-il pu arriver ? »

La réponse surgit presque par hasard quatre ans plus tard, en 2010, au cours d’un rendez-vous médical. Alors qu’elle consulte dans le but de reprendre la pilule, sa nouvelle gynécologue lui apprend qu’elle est porteuse d’une anomalie génétique qui accentue la coagulation sanguine. Le médecin est catégorique : on n’aurait jamais dû lui prescrire de contraception orale. En 2012, les liens entre l’AVC de Marion et Meliane, une pilule dite de troisième génération, sont officiellement établis. L’incompréhension de la jeune femme, qui n’avait jamais entendu parler des dangers thromboemboliques de la pilule, se transforme en révolte. Elle porte plainte contre le laboratoire allemand Bayer, fabricant de diverses pilules, dont Meliane, et raconte son histoire aux médias, poussant une centaine de femmes victimes de phlébite, d’embolie pulmonaire, d’AVC ou d’infarctus, à lui emboîter le pas. 

Les études scientifiques se multiplient et confirment que les pilules de troisième et quatrième générations, respectivement mises sur le marché à partir de 1984 et 2001, présentent un danger pour la santé. Plus faiblement dosées en œstrogènes, elles réduisent les effets secondaires du type gonflement des seins, nausées et migraines, mais augmentent les risques de thrombose veineuse (phlébite et embolie pulmonaire) et artérielle (AVC et infarctus du myocarde). Dans la foulée, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) confirme qu’au moins quatre décès sont imputables à Diane-35, un traitement hormonal anti-acnéique, rapidement retiré de la vente par la suite. Ce médicament, dont l’autorisation de mise sur le marché ne concernait que le soin de l’acné, était largement prescrit comme contraceptif. À l’époque, 315 000 femmes prenaient quotidiennement Diane-35. C’est le début d’un scandale sanitaire.

Forcés de réévaluer rapidement les risques liés à la prise d’un contraceptif oral, les pouvoirs publics lancent dès 2012 un plan d’action au niveau national. « La pilule est un dossier que nous suivons de près, explique par téléphone un représentant de l’ANSM. Nous produisons des rapports réguliers pour nous assurer que les nouvelles habitudes des utilisatrices perdurent. »

Si de nombreuses femmes ont choisi de changer radicalement de méthode à la suite du scandale, d’autres ont préféré revenir aux pilules de première et deuxième générations, jugées moins risquées. Entre 2012 et 2015, ces dernières ont vu leur part de marché passer de 52 % à 79 %, tandis que celle des troisième et quatrième générations, mises en cause dans les divers accidents répertoriés, a largement chuté, passant de 48 % à 21 %. Bien que la fin du remboursement en 2013 de 48 pilules estroprogestatives (qui associent deux hormones, les progestatifs et les œstrogènes) y soit probablement pour quelque chose, ces chiffres sont aussi le résultat d’un changement d’habitude chez les professionnels de santé. Ces derniers disposent désormais d’une « check-list » répertoriant les points à évaluer pour chaque nouvelle patiente désireuse de prendre la pilule, afin de ne pas prescrire un contraceptif oral à une femme à risque : antécédents médicaux, âge, indice de masse corporelle, tabagisme, diabète, pression artérielle, ou encore certaines migraines. L’utilisatrice peut quant à elle se référer à la « carte patiente », désormais présente dans toutes les boîtes de pilules, généralement en fin de notice, pour s’informer en détail des précautions à prendre et des effets secondaires éventuels. 

L’impact de ces dispositifs sur la santé des femmes a déjà pu être évalué. Selon une étude de l’ANSM, 341 hospitalisations pour cause d’embolie pulmonaire auraient été évitées en 2013, soit une diminution de 11 % par rapport à l’année précédente. Un progrès considérable qui permet aujourd’hui à l’Agence européenne du médicament (EMA) d’affirmer que le rapport entre le bénéfice et le risque reste favorable pour les utilisatrices de pilules estroprogestatives, mais qui ne rassure pas pour autant une partie des femmes dont la confiance semble être bel et bien rompue. De quoi ont-elles peur ?

 

Pilule et cancer : un lien non établi 

Bien qu’aucune étude ne démontre aujourd’hui le caractère cancérogène de la pilule contraceptive, des questions se posent quant aux liens qui unissent la contraception orale et certains types de cancers. Selon une étude de 2005 menée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’ingestion de pilules combinées entraînerait une légère hausse du risque de cancers du sein, du col de l’utérus et du foie. 

Pour le Dr Nasrine Callet, gynécologue et oncologue à l’institut Curie, « cette étude est critiquable ». Aux yeux de cette spécialiste, pour qu’une étude sur le sujet soit réellement satisfaisante, elle doit prendre en compte le cas de femmes habitant différents pays, ne présentant aucun antécédent particulier, d’un âge similaire, et ayant consommé des pilules au dosage identique, sur un nombre d’années semblable. « Or une telle étude n’existe pas. »

Nasrine Callet met également en garde contre une lecture des résultats trop hâtive, notamment en ce qui concerne le cancer du col utérin. Si les chiffres montrent que les utilisatrices de pilule sont légèrement plus exposées à ce type de cancer que les autres femmes, cela ne signifie pas pour autant que la pilule est responsable de la maladie : « Une femme sous pilule est tout simplement plus active sexuellement, et est donc davantage exposée au virus HPV, qui se transmet lors d’un rapport. »

En ce qui concerne le cancer du sein, elle rappelle que ses causes restent aujourd’hui inconnues, « mais il est certain qu’elles sont multiples ». En introduisant des hormones de synthèse dans le corps de la femme, la pilule contraceptive perturbe incontestablement le système endocrinien. L’oncologue se veut pourtant rassurante : introduites à faible dose, ces hormones ne présentent pas de danger pour la santé. « Ce qui pose problème, explique-t-elle, c’est l’accumulation de plusieurs facteurs. Si vous avez des antécédents familiaux de cancer du sein, des antécédents médicaux, si vous fumez, si vous vivez dans une région où vous avez reçu des irradiations et qu’en plus de cela, vous prenez la pilule, alors, oui, vos risques de développer un cancer sont plus élevés. »

Ajoutez à cela les perturbateurs endocriniens présents dans l’alimentation et les divers médicaments ingérés, et vous obtiendrez un potentiel « effet cocktail », démontré en 2015 par le centre de biochimie de l’université de Montpellier. 

En étudiant la manière dont 40 molécules du monde extérieur se liaient au récepteur nucléaire PXR présent dans le noyau des cellules du corps humain, des chercheurs de l’Inserm et du CNRS ont démontré que deux substances chimiques particulières qui, prises isolément, étaient sans danger pour l’homme, pouvaient devenir nocives si elles étaient conjuguées. « Mélangées, elles sont cent fois plus efficaces que chacune de leur côté », explique William Bourguet, biologiste et directeur du centre. Ces deux molécules sont l’éthinylestradiol, un œstrogène qui entre dans la composition de la plupart des pilules contraceptives, et le trans-nonachlor, un insecticide reconnu comme perturbateur endocrinien. Quoique sa vente ne soit plus autorisée dans l’Union européenne depuis 1981, il est encore aujourd’hui possible de retrouver sa trace dans des sols, cette substance étant très peu biodégradable. 

Quelles sont les conséquences d’un tel mécanisme sur la santé des femmes ? William Bourguet reste lui aussi prudent quant à l’interprétation de ces résultats, son étude ayant été réalisée in vitro, c’est-à-dire dans des tubes de laboratoire. Son équipe tente actuellement d’étudier l’effet de ce mélange sur la souris, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions intéressantes. « C’est une preuve de concept, explique le chercheur, dont les travaux se concentrent sur la structure intime des protéines. En démontrant que l’effet cocktail n’était pas qu’une rumeur, on a tiré une sonnette d’alarme. » Et souligné que les effets de la pilule sur la santé peuvent dépendre de l’environnement dans lequel vit l’utilisatrice. « On estime les molécules de l’environnement au nombre de 100 000 à 150 000, précise-t-il. Avec 40 molécules, nous avons déjà étudié 780 combinaisons possibles. » Évaluer tous les risques liés au monde qui nous entoure s’avère une mission impossible.

 

Un bouclier contre les cancers de l’ovaire et de l’endomètre

Si la pilule est soupçonnée de figurer parmi les facteurs potentiellement déclencheurs de certains cancers, elle pourrait tout aussi bien agir comme bouclier contre d’autres maladies. D’après les conclusions d’une étude menée par des chercheurs italiens et publiée en septembre 2016 dans la revue médicale Annals of Oncology, le nombre de décès liés aux cancers de l’ovaire dans les pays de l’Union européenne a baissé de 10 % entre 2002 et 2012, passant de 5,76 à 5,19 décès pour 100 000 femmes. Selon l’auteur de l’étude, le Pr La Vecchia, cette baisse de la mortalité coïnciderait avec la généralisation de l’usage de la pilule. 

Une autre étude, britannique cette fois, a quant à elle mis en évidence l’effet protecteur de la contraception orale contre le cancer de l’endomètre (muqueuse de l’utérus), le cinquième cancer le plus fréquent au monde chez les femmes. Grâce aux résultats, les chercheurs ont pu estimer que, depuis cinquante ans, 400 000 cas de cancer de la paroi interne de l’utérus avaient pu être évités, dont la moitié au cours des dix dernières années. Les pilules dans lesquelles l’effet de la progestérone surpasse celui des œstrogènes sont particulièrement protectrices, l’hormone progestérone ayant pour action de ralentir la division cellulaire, au cours de laquelle le cancer a le plus de chances de se développer. 

Dans L’Enfer au féminin, publié en 2012 aux éditions La Martinière, le Dr Philippe Vignal va plus loin. Pour lui, les cycles menstruels seraient à l’origine de l’apparition de divers cancers chez la femme, chaque cycle favorisant la division cellulaire et offrant une opportunité aux cellules cancéreuses de se développer. « Les femmes ne sont pas faites pour avoir 450 cycles par vie comme c’est le cas aujourd’hui, explique le gynécologue parisien. Il est normal d’avoir des règles, comme il est normal d’avoir un cœur qui bat. Mais votre cœur n’est pas fait pour battre 150 battements par minute toute la journée ! » Il explique l’augmentation du nombre de cycles chez les femmes occidentales par une apparition des règles plus précoces (due à des perturbateurs endocriniens présents notamment dans l’alimentation), ainsi que par la baisse du nombre d’enfants par femmes et la réduction de la durée d’allaitement par enfant – seule une Française sur cinq allaite son bébé jusqu’à six mois, comme le préconise l’Organisation mondiale de la santé.

Pour appuyer son argument, Philippe Vignal prend l’exemple des Inuits d’Alaska qui, jusque dans les années 1980, vivaient à l’écart de la civilisation occidentale. Grâce aux observations régulières des autorités de santé canadiennes, nous savons que « le nombre de cancers dans la population inuite était inférieur de moitié à celui des pays occidentaux développés ». Les chercheurs en ont conclu que ce faible taux était dû à la durée de l’allaitement, qui s’étirait généralement sur trois ans. Des années durant lesquelles les cycles des femmes étaient au repos. Depuis la disparition du mode de vie traditionnel des Inuits il y a près de quarante ans, le nombre de cancer a explosé, « les femmes inuites étant touchées par le cancer du sein dans les mêmes proportions que les femmes occidentales, soit environ une femme sur dix ». 

Pour pallier les conséquences d’un mode de vie moderne, le gynécologue prescrit à ses patientes une pilule particulière, exempte d’œstrogènes et ayant la particularité de faire disparaître complètement les règles. « L’idée qu’avoir ses règles est bon pour la santé est fausse, explique-t-il. Comme la saignée au Moyen Âge, les femmes pensent à tort qu’elles se purifient chaque mois en ayant leurs règles. » Il admet néanmoins que la pilule parfaite n’a pas encore été trouvée : « L’idéal serait de découvrir une molécule bloquant l’ovulation qui ne soit pas une hormone. »

Que faut-il conclure de ces multiples études, et des propos des professionnels, parfois contradictoires ? Pour les adolescentes envisageant la pilule comme premier moyen de contraception, le réflexe indispensable est de prendre rendez-vous chez un gynécologue afin de faire un bilan et d’identifier le modèle le plus adapté à son corps. « Le danger survient lorsque les jeunes filles se procurent une pilule sans ordonnance, en prenant celle de leurs copines, par exemple », met en garde Nasrine Callet. Les utilisatrices de longue date ne présentant aucune contre-indication à la prise d’un contraceptif oral n’ont, quant à elles, pas de raison de paniquer si elles sont bien suivies. « L’important est d’éduquer la patiente », conclut la gynécologue, afin qu’elle sache et ose poser les bonnes questions. 

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