Derrière les médias sociaux, il y a une économie. Encore faut-il le savoir et prendre conscience qu’une entreprise comme Facebook pèse financièrement beaucoup plus lourd qu’une major du pétrole comme ExxonMobil. Le nerf de cette économie, c’est la publicité. Tout est conçu pour la favoriser et la valoriser. Voici la recette : le Web social fonctionne comme un gigantesque aspirateur de nos données personnelles (nos goûts, nos déplacements, notre consommation) afin de nous adresser des messages publicitaires ciblés. Sur ce marché très concurrentiel, il s’agit d’attirer notre attention (on parle parfois d’une « économie de l’attention ») et de nous retenir le plus longtemps possible sur une page, une image ou une vidéo susceptibles de nous amener à cliquer sur des annonces.

C’est dans le but d’attirer des clients que beaucoup de sociétés, grandes et petites, payent pour booster leur visibilité et obtenir de façon artificielle un meilleur référencement de leurs sites, c’est-à-dire apparaître en haut de l’affiche au lieu d’être enterrées tout en bas en lettres minuscules. Par le biais d’intermédiaires spécialisés, elles engagent des petites mains pour « liker » en masse leurs contenus ou leurs messages publicitaires. Ce prolétariat du Web – recruté très souvent dans des pays où le coût de la main-d’œuvre est faible, comme le Mexique ou l’Indonésie –, représente aujourd’hui quelques millions de travailleurs précaires dont la rémunération descend à 0,000 8 dollar le clic. Leurs clients sont des entreprises commerciales ainsi que des partis politiques, des candidats à des élections et d’autres producteurs de contenus.

Les créateurs de vidéos de gags, de bobards, de rumeurs, de fake news et de deepfakes n’échappent pas à la règle. Non seulement ces contenus sensationnels attirent spontanément l’attention des usagers, mais leur circulation est artificiellement accélérée par cette économie invisible derrière les écrans.

Initialement, le caractère douteux des informations colportées était souvent considéré comme une fatalité. Les internautes étaient censés rectifier d’eux-mêmes les erreurs… Les dirigeants des médias sociaux, lorsqu’ils étaient interpellés, déclaraient benoîtement qu’ils n’étaient pas éditeurs de contenus mais hébergeurs et diffuseurs.

Tout a commencé à changer en 2016-2017 avec le Brexit et l’élection de Trump. Les mensonges proférés lors de ces campagnes et leur influence sur les résultats ont marqué un tournant. Contraints de réagir, les dirigeants de médias sociaux ont engagé une armée de « modérateurs de contenus » pour éliminer aussi vite que possible les messages haineux, les vidéos mensongères, mais aussi les images pornographiques.

Ce sont parfois les mêmes travailleurs qui, sur leur clavier, suppriment d’une main un appel à la violence et, de l’autre, approuvent la saveur d’une mayonnaise, en partageant leur choix et en l’accompagnant d’un commentaire flatteur. Le poinçonneur des Lilas de Serge Gainsbourg a été remplacé par le travailleur du clic…

En somme, c’est le modèle économique du Web social, fondé sur la publicité, qui est en cause. La pandémie de Covid a encore augmenté l’usage des médias sociaux et la circulation de messages douteux. Confinés, les travailleurs du clic ont moins traqué les fake news. Les fausses informations et les théories loufoques ont fortement circulé pendant cette période. Il est temps de s’interroger sur ce modèle économique, et sur le travail du clic qui l’alimente. 

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