C’ÉTAIT il y a longtemps, bien avant les faussaires du numérique. Dans les années 1850, la toute jeune Société française de photographie se déchirait pour savoir si des clichés retouchés pouvaient être admis à des expositions. L’art qui venait de naître n’était-il pas, contrairement à la peinture, une reproduction exacte de la réalité ? Des retouches apparaissaient aux puristes comme une atteinte insupportable à la sincérité photographique.

– La réponse était donc évidente.

– Non, parce que, sans œuvres retouchées, il n’y aurait pas eu d’expositions : dans le secret de leur atelier, la plupart des professionnels corrigeaient un détail, effaçaient une ombre, soulignaient l’éclat d’un regard ou d’un bijou, à l’aide d’un couteau, d’un pinceau ou d’un crayon gras. Ils ne cherchaient pas à tromper, mais à montrer une personne ou un paysage sous son meilleur jour.

– Et alors ?

– On a coupé la poire en deux : n’étaient interdits d’exposition que les clichés présentant des retouches « essentielles ».

– C’était vague…

– Volontairement. Mais une trentaine d’années plus tard, l’emploi du gélatino-bromure d’argent a ouvert la photographie aux amateurs. Ceux-ci, réunis en clubs, se sont posés en gardiens farouches de la virginité photographique, refusant toute retouche.

– On en est loin… Même Photoshop appartient à un autre siècle ! Que je sache, le cinéma n’a pas donné lieu à de tels débats.

– Parce qu’il a tout de suite été perçu comme un art du spectacle et un véhicule de la fiction. Les effets spéciaux, apparus avec le muet, enchantent toujours le public : il admet qu’on manipule des images, non pour le manipuler, mais pour l’étonner, l’amuser ou lui donner de fortes sensations. C’est compris dans le billet. 

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