Les images sont de piètre qualité. Un noir et blanc un peu flou, tressautant. La caméra se promène sur un corps étrange, de forme quasi humaine, étendu sur une table d’autopsie. Des taches semblent indiquer que la chair est en voie de putréfaction. La créature présente un ventre gonflé, sans nombril. Sa jambe droite est brûlée, son crâne est surdéveloppé et ses yeux sont deux gigantesques billes noires. Elle a un minuscule nez et une petite bouche entrouverte qui lui donne l’air surpris. Ses oreilles sont légèrement pointues et ses mains à six doigts sont déposées le long de son corps, paumes tournées vers le ciel. Deux chirurgiens engoncés dans leurs combinaisons blanches observent un moment le cadavre et finissent par saisir un scalpel. L’autopsie de l’extraterrestre peut commencer.

Lorsqu’elles font surface en 1995, ces images saisissent le monde entier. Ray Santilli, un jeune producteur anglais, dit les avoir acquises un an plus tôt, à l’occasion d’un voyage aux États-Unis. Selon ses dires, l’homme qui les lui a vendues, un dénommé Jack Barnett, est un ancien cameraman de l’armée américaine. Il aurait réalisé cet enregistrement sur ordre de l’armée en 1947, au sein d’une base de l’US Air Force. Or, cette année-là, une rumeur agite l’Amérique : une soucoupe volante se serait écrasée dans un champ, non loin de la ville de Roswell, au Nouveau-Mexique. Cinquante ans plus tard, la séquence de l’autopsie réveille les doutes. Et si ces images prouvaient que le crash d’un ovni avait vraiment eu lieu ? Et si les extraterrestres existaient bel et bien ? Des Américains veulent y croire.

Restons un peu en 1947. Un matin durant l’été, William « Mac » Brazel, propriétaire d’un ranch dans une zone désertique près de Roswell, découvre des débris métalliques éparpillés sur ses terres. Pour lui, il s’agit des restes d’une soucoupe volante. Au même moment, des témoignages allant dans ce sens abondent : des locaux jurent avoir vu un vaisseau spatial perdre progressivement de l’altitude avant de s’écraser sur la terre ferme en pleine nuit. Le fermier confie sa découverte à l’armée qui, le jour même, émet un communiqué pour confirmer qu’elle a désormais en sa possession les restes d’un disque volant. Le lendemain, un rectificatif annonce qu’il s’agissait seulement d’un ballon météorologique. L’affaire semble se tasser, mais les graines de la rumeur sont plantées…

Trois décennies plus tard, l’un des premiers limiers du bureau enquête-accident de la base de Roswell, le major Jesse Marcel, relance le débat en accordant une interview télévisée à un ufologue (spécialiste des ovnis). Il lui confie qu’à l’époque, l’armée a remplacé les débris originaux par d’autres afin de cacher la vérité au public. Dans les années 1980, le mystère qui plane autour de l’événement inspire nombre de passionnés. Deux auteurs, Moore et Berlitz, publient Le Mystère de Roswell (The Roswell Incident), ouvrage dans lequel ils expliquent que des étudiants en archéologie avaient également retrouvé des traces d’extraterrestres au sol. La fiction alimente la rumeur qui poursuit son chemin. Du film E.T. l’extraterrestre à la série X-Files un peu plus tard, le public américain se prend de passion pour les aliens et semble croire massivement en leur existence.

En 1994, cherchant à lever définitivement le voile, le Congrès américain demande à l’armée d’engager une enquête officielle sur l’affaire Roswell. Dans son rapport, cette dernière confesse avoir menti et désigne finalement les débris comme ceux d’un ballon ayant appartenu à un projet top secret baptisé « Mogul ». Élaboré pendant la guerre froide, celui-ci devait servir au repérage d’une éventuelle activité nucléaire de la part des militaires soviétiques. Le mystère semble retomber.

Mais c’était sans compter les fameuses images de Ray Santilli. En 1995, une trentaine de chaînes diffusent la séquence à des millions de téléspectateurs. En France, TF1 acquiert les droits pour une somme d’environ 15 000 euros. Le journaliste Jacques Pradel mène une enquête fouillée et y consacre un épisode entier de son émission L’Odyssée de l’étrange. Pour déterminer si le corps montré à l’écran est celui d’un extraterrestre, d’un humain souffrant de malformations ou un mannequin en latex sophistiqué, il convoque des dizaines de spécialistes. Médecins, généticiens, enquêteurs américains, experts du monde du cinéma, de la photographie, spécialiste des monstres, astronautes… Les uns se laissent convaincre, les autres sont sceptiques, mais peu sont catégoriques. « Si c’est une supercherie, elle est très fine », observe un médecin légiste. Dans la presse, on accuse TF1 de fabriquer de la fausse information. Le sociologue Pierre Lagrange prend la peine d’enquêter et conclut, quant à lui, à une escroquerie.

Dix ans plus tard, la confession de John Humphreys, sculpteur et expert en effets spéciaux, met définitivement un terme à la controverse : l’extraterrestre est son œuvre. Il s’agissait bel et bien d’une poupée en latex garnie d’abats de moutons. Chef-d’œuvre de désinformation pour les uns, grotesque canular pour les autres, le film aura eu pour conséquence concrète d’exporter la rumeur de Roswell jusque dans l’Hexagone. Dans le petit monde des ufologues, on ne s’accorde toujours pas, malgré le démenti de l’armée. Des extraterrestres nous ont-ils rendu visite en 1947 ? En attendant que les humains s’entendent, l’économie tourne à plein régime. Roswell, qui abrite plusieurs musées ufologiques et attractions touristiques, attire toujours les curieux. Le cinéma et la littérature se délectent de cet engouement. D’ailleurs, petits hommes verts et billets de banque américains partagent la même couleur. Alors, hasard ou complot ? 

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