Carl Sandburg - Je suis le peuple
Temps de lecture : 2 minutes
Je suis le peuple – la foule – la cohue – la masse.
Savez-vous que tout le gros œuvre du monde est fait par moi ?
Je suis l’ouvrier, l’inventeur, le fabricant de la nourriture et des habits du monde.
Je suis le public qui assiste à l’histoire. Les Napoléon viennent de moi tout comme les Lincoln. Ils meurent. Après quoi j’envoie de nouveaux Napoléon et de nouveaux Lincoln.
Je suis le sol pour les graines. Je suis la prairie qui accueillera force labour. De terribles orages passent au-dessus de moi. J’oublie. Le meilleur de moi est aspiré et gaspillé. J’oublie. À part la Mort, tout vient à moi et me fait travailler et abandonner ce que j’ai. Et j’oublie.
Parfois je gronde, je me secoue et asperge quelques gouttelettes rouges pour que l’histoire se souvienne. Et puis – j’oublie.
Quand moi, le Peuple, j’apprendrai à me souvenir, quand moi, le Peuple, je me servirai des leçons d’hier et n’oublierai plus qui m’a volé l’année passée, qui s’est joué de moi – alors aucun orateur au monde ne dira plus ce nom : « Le Peuple », avec une once de mépris dans la voix ou un sourire distant plein de dérision.
Et alors, la foule – la cohue – la masse surgira.
Le poète e. e. cummings rangeait définitivement les politiciens parmi les bonimenteurs et autres « ça qui pue ». De seize ans son aîné, Carl Sandburg s’est lui engagé auprès des sociaux-démocrates avant d’en être déçu. Mais toute son œuvre témoigne de son militantisme en faveur de la classe ouvrière et des plus déshérités. Dans son recueil Chicago Poems (1916), il fait provision de scènes de rue et de détails concrets. Un chantier dans la glaise lui permet de décrire en quelques mots les réalités du travail et du chômage : « Sur les vingt hommes qui regardent / Dix murmurent : Oh, quel boulot infernal ! / Et les dix autres : Mon Dieu, j’aimerais bien avoir ce boulot ! » Des lignes empathiques, qui n’ont pas vieilli, sur une ville d’industries et de misère. Dans le poème ci-dessus, les vers libres multiplient les phrases courtes et rythmées qui ressassent « je suis » et « j’oublie ». En s’identifiant au peuple, Carl Sandburg se place dans la lignée d’un Walt Whitman, poète-cosmos si vaste qu’il contenait des multitudes. Mais il s’en distingue aussi par la virulence de sa revendication. Quelles que soient nos profondes réserves, impossible d’être certain aujourd’hui que Donald Trump sera un méchant Napoléon plutôt qu’un gentil Lincoln. Mais, parce que son élection dévoile la détresse d’une grande part de l’Amérique, rares sont les présidents sur lesquels pèsent autant d’espoirs. Attention aux dangereux retours de bâton.
« M. Trump adore procéder par brutalités »
François Bujon de l’Estang
Une fois installé à la Maison Blanche, Donald Trump sera-t-il conduit à modérer ses excès ?
Un Trump modéré, c’est un oxymore. La modération n’est pas dans sa nature et ce n’est pas cette quali…
[Gazouillis]
Robert Solé
Les discours-fleuves à la Castro ne sont pas son genre. Donald Trump est plutôt un adepte de la concision, comme l’indique sa manie de Twitter. Tout au long de la campagne électorale, il a inondé le réseau social de petits textes acerbes, ironiques, pa…
In Trump we trust
Aude Lancelin
Ce qu’incarne Trump dans l’imaginaire des millions de laissés-pour-compte américains qui lui ont permis d’accéder à la présidence des États-Unis ne laisse pas de fasciner. Comment ce parvenu new-yorkais, aujourd’hui milliardaire, a…