« M. Trump adore procéder par brutalités »
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Une fois installé à la Maison Blanche, Donald Trump sera-t-il conduit à modérer ses excès ?
Un Trump modéré, c’est un oxymore. La modération n’est pas dans sa nature et ce n’est pas cette qualité qui l’a fait élire président. En revanche, nous allons très vite découvrir que le contre-pouvoir du Congrès va jouer à plein. D’abord, parce que c’est sa vocation ; ensuite, parce que la plupart des grands leaders républicains du Congrès ne sont pas en faveur de M. Trump. Certains d’entre eux l’ont ouvertement combattu et il en a publiquement injurié quelques-uns !
La coloration de son mandat sera-t-elle du coup différente de celle qu’on imagine aujourd’hui ?
On ne peut pas se risquer à des conjectures. M. Trump adore procéder par brutalités et jouir de l’effet de sidération obtenu. Cela lui a été extrêmement bénéfique. Regardez comment il a agi avec l’industrie automobile. Personne ne veut se mettre à dos le nouveau président en début de mandature. Par intimidation, il peut donc obtenir quelques premiers résultats.
Il se définit comme un protectionniste. Peut-on l’être dans un monde mondialisé et quel serait alors le visage des États-Unis ?
« America first ! » Son slogan est à lui seul une proclamation protectionniste. Notez que cette position est à nouveau entièrement contraire à la position traditionnelle du Parti républicain. À ma connaissance, aucun expert n’a calculé ses effets sur l’économie américaine. C’est terra incognita. Comme toujours, vous pouvez obtenir un bénéfice immédiat sur les créations d’emplois, la balance des paiements, mais sur le long terme vous aurez l’inflation, la perte de pouvoir d’achat du plus grand nombre. Et les Chinois pourraient entreprendre une guerre commerciale dont personne ne sait où cela mènerait. Le protectionnisme est une arme à double tranchant. Le coût économique est inconnu et le coût politique peut être très élevé.
Donald Trump peut-il abandonner le tropisme asiatique qui a structuré la diplomatie du président Obama ?
Une remarque générale. On ne sait pas ce que sera la politique extérieure de M. Trump pour une raison simple : pendant toute la campagne, il a procédé par slogans et par affirmations outrancières, mais chaque fois que l’on a voulu creuser pour voir ce qu’il y avait derrière le slogan, on a découvert qu’il n’y avait rien !
Dans le domaine asiatique, il n’est pas sûr que l’on assiste à un changement. Le tropisme asiatique vient de loin. Qui a dit : « J’ai la conviction profonde que le destin des États-Unis se jouera dans le Pacifique beaucoup plus que dans l’Atlantique et en Europe » ? Theodore Roosevelt, en 1905. La position d’Obama correspondait à une réflexion stratégique assez largement partagée. Cela partait du constat de la fin de la menace russe et de la montée de la puissance chinoise. Et dans la conception américaine, un concurrent est forcément un adversaire. La Chine, c’est donc l’adversaire. Je ne suis pas sûr que M. Trump remette en cause ce pan de la stratégie diplomatique et, du reste, il critique durement la Chine.
Gouverner, c’est fixer des priorités. Quelles seront les siennes en politique internationale ?
Il s’agira d’abord d’engager un reset, une remise à zéro des compteurs, avec la Russie sous le coup de sanctions économiques à la suite de sa condamnation internationale pour l’anschluss de la Crimée et ses menées en Ukraine. Au fond, huit ans après, l’approche de Trump sur ce point est assez semblable à celle d’Obama : il veut rétablir une relation normale avec M. Poutine avec lequel il veut faire des deals. C’est une main tendue. À la différence qu’aujourd’hui le contentieux s’est considérablement alourdi et qu’il aura du mal à convaincre le Congrès.
Et l’Europe ?
M. Trump ne donne pas l’impression de s’intéresser particulièrement à l’Europe et je ne suis pas sûr qu’il la connaisse bien. Il connaît le Royaume-Uni où il possède des golfs, mais là où il n’a ni golfs ni hôtels, je ne suis pas sûr qu’il ait une grande expertise.
Les sujets commerciaux et son attitude à l’égard de l’Alliance atlantique feront figure de test. Sur l’OTAN, il va bien falloir qu’il précise sa pensée s’il en a une. Les propos qu’il a tenus jusqu’à présent étaient des propos à l’emporte-pièce. Quand on lui a demandé ce qu’il ferait en cas d’attaque de l’Estonie par la Russie, il a répondu : « Je me demanderais d’abord ce que l’Estonie a fait pour la sécurité des États-Unis. » Si vous étiez estoniens, vous dormiriez moins bien. Il n’y a pas qu’eux qui dorment mal en Europe de l’Est…
Une remise en cause de l’Alliance atlantique, qu’il a qualifiée d’obsolète, est-elle envisageable ?
Les membres de l’OTAN se sont déjà engagés, en 2015, à consacrer 2 % de leur PNB à la défense. C’est un engagement pris au sein du Conseil atlantique. Alors, il peut mettre la pression en disant : c’est aujourd’hui, pas demain. Je ne crois pas qu’il puisse demander beaucoup plus. Je n’imagine pas que les États-Unis remettent en cause une telle alliance, très profondément ancrée dans la diplomatie américaine. M. Trump va quitter le dernier étage de la Trump Tower. Il va devenir président des États-Unis. Il finira par ne plus envoyer de tweets à 3 heures du matin !
M. Trump a menacé de dénoncer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Pourrait-il le faire ? Ou, à défaut, le saboter ?
Il peut saboter l’accord, effectivement. Mais cet accord est multilatéral. Il a été signé par la Russie, la Chine et les grands pays européens ; et avalisé par deux résolutions du Conseil de sécurité. Donc M. Trump peut s’en retirer ; il ne peut le dénoncer. Par ailleurs, il est très difficile de prendre des mesures radicales contre l’Iran sans rien faire au sujet de la Corée du Nord. Or là, Trump a besoin de la coopération des Chinois. Comment se mettre Pékin à dos sur l’Iran s’il veut avancer sur le dossier nord-coréen ? Jusqu’ici, personne n’a le début d’une réponse sur ce que fera le nouveau président.
Trump est entouré de personnalités qui soutiennent la droite ultranationaliste israélienne ? Faut-il envisager un changement fondamental de la politique des États-Unis au Proche-Orient ?
Le choix de David Friedman comme ambassadeur en Israël est très significatif. C’est un homme aux idées très tranchées, favorable au transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Jusqu’ici, les États-Unis sont restés fidèles à la solution à deux États : Israël et un État palestinien. D’où leur attitude face à la récente résolution 2334 du Conseil de sécurité condamnant la colonisation israélienne des Territoires palestiniens. En ne s’y opposant pas, Obama avait trois ambitions. D’abord, rendre la monnaie de sa pièce à Netanyahou, venu l’insulter au Congrès en mars 2015 pour empêcher un accord avec l’Iran. Ensuite, dénoncer le double langage d’Israël, qui dit vouloir avancer vers la paix et la rend impossible en poursuivant la colonisation. Enfin, poser un garde-fou, sur le plan du droit international, qui limitera la possibilité pour M. Trump d’agir. Quant à un déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, il serait perçu comme un encouragement considérable à la colonisation israélienne et cela passerait extrêmement mal dans le monde arabe. Les conséquences seraient imprévisibles. J’imagine mal Trump aller jusque-là.
La machine étatique américaine sera-t-elle en mesure de modérer Trump ?
Nous n’avons jamais vu une période de transition comme celle qui s’est déroulée depuis le 8 novembre, avec un président élu qui refuse de mettre les pieds à Washington. Et qui, lorsque le département d’État lui donne un dossier à lire, répond : non merci, je n’en ai pas besoin. Aujourd’hui tout l’appareil d’État est tétanisé. Ceux qui le connaissent disent qu’il ne fait confiance qu’à un noyau de proches sélectionnés en fonction de leur loyauté, qu’il ne lit pas les notes et que sa capacité d’attention se limite à trois minutes. Il ne s’est pas préparé à la fonction. Cela donne l’impression qu’il n’écoutera pas ses services.
Aux États-Unis, l’idée d’une destitution, d’un impeachment, commence à être débattue.
C’est extravagant : on parle de quelqu’un qui n’est pas encore en fonction ! Mais le fait même que ce sujet soit évoqué prouve à quel point ce président est controversé et combien son élection crée un malaise dans la société américaine. Si, dès les premières semaines, il froisse énormément de sensibilités, s’il conteste l’avis des spécialistes, s’il continue à dire du mal de ses propres services de renseignement, il va susciter tellement d’animosité et de rancœur que tôt ou tard il provoquera des événements imprévisibles. Mais de là à évoquer un impeachment… C’est quelque chose qu’il est très difficile d’imaginer.
Propos recueillis par SYLVAIN CYPEL et LAURENT GREILSAMER
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