Portrait d’un mégalo narcissique
Dès 1973, le nom de Donald Trump fait la une du New York Times. Avec ce titre : « Un important propriétaire immobilier est accusé de partialité contre les Noirs. » Scandales, outrances, faillites, démentis cinglants : ainsi commence la vie publique du nouveau président américain. Dans un portrait fouillé, Sylvain Cypel, spécialiste des États-Unis, dresse le profil psychologique, moral et politique de ce milliardaire mégalomane saisi par la fièvre du pouvoir. Une vivante confirmation de la citation célèbre du grand écrivain Mark Twain qui conseillait afin de réussir en Amérique la recette suivante : « Beaucoup d’ignorance et beaucoup de confiance en soi. » Sylvain Cypel décrit le président comme « un briseur de codes fasciné par le culte de l’homme fort ». Formé par Roy Cohn, un avocat qui fit la chasse aux « communistes » aux côtés du sénateur d’extrême droite Joseph McCarthy, Trump avance tel un bulldozer. Plus amoral qu’immoral. Pour lui, écrit son portraitiste, « se conformer à la loi, c’est trouver sa faille ». Chez Trump, pas d’affect. Des chiffres. Voilà pourquoi l’une de ses phrases préférées est tirée du Parrain : « It’s not personal, it’s just business. »Temps de lecture : 23 minutes
« Je n’ai jamais constaté le moindre cas où, sous la pression, Trump choisit la modération. Au contraire. Il contre-attaque, provoque, argumente. L’homme ne sera pas différent s’il est élu président. » Ainsi s’exprimait sur la chaîne CNN l’auteur Michael D’Antonio trois mois avant l’élection de Donal Trump, auquel il a consacré deux ouvrages biographiques. Selon lui, l’approche spontanée du magnat, en situation de conflit, est systématiquement celle de la « rétorsion disproportionnée ». Dès qu’un antagonisme se fait jour, il revendique toujours la posture de l’agressé. Ensuite, sa réaction est volontairement sans proportion avec le coup supposément subi. En d’autres termes, il se conduit comme Don Corleone, le parrain du best-seller de Mario Puzo. Si l’interlocuteur ne se soumet pas, il tranche la tête de sa meilleure pouliche et la place encore sanguinolente dans son lit. Trump « part du principe que la disproportion est normale ».
« Je pense sincèrement que si Trump l’emporte et peut actionner les codes nucléaires, il existe une forte possibilité que cela entraîne la fin de la civilisation. » Ce verdict-là, c’est Tony Schwartz qui l’a énoncé. Schwartz fut le « nègre » de l’ouvrage le plus célèbre de Trump, The Art of the Deal (« L’art des affaires »). Pour rédiger ce livre paru en 1987, il a passé dix-huit mois dans une grande proximité avec son sujet. Interrogé fin juillet par la célèbre enquêtrice du New Yorker, Jane Mayer, il brosse de Trump un portrait aussi terrifiant que celui de son biographe, évoquant un homme pour qui « le mensonge est une seconde nature ».
Schwartz dit aujourd’hui de ce livre : « J’ai mis du rouge à lèvres sur le groin d’un porc. » Traduction : il a, à l’époque, enjolivé un personnage qui, au fond, le révulsait. Il avait reçu une avance sur recette d’un demi-million de dollars. Mais lorsqu’il rentrait chez lui, après avoir passé la journée à suivre son commanditaire, il confiait à sa femme : « Ce type est un trou noir vivant. » Le livre fini, Schwartz dit avoir ressenti « un vide qui vous ronge de l’intérieur ». Il refusera d’écrire la « suite » que Trump lui demandait.
Un homme brutal, menteur, amoral, doublé d’une énigme – un « trou noir ». On dira qu’on force le trait. Pourtant, ces témoignages sont ceux de deux des très rares personnes indépendantes qui ont eu la possibilité d’approcher le magnat de très près sur de longues périodes. Et le rédacteur de ces lignes doit admettre que, plus il s’est plongé dans la documentation accessible, plus se renforçait chez lui la conviction que ce ne sont pas seulement les opinions professées par Trump qui révulsent, mais sa personnalité qui sidère.
Comment réussir en Amérique ? s’interrogeait l’écrivain Mark Twain en son temps. Sa recette – « beaucoup d’ignorance et beaucoup de confiance en soi » –, Trump l’incarne jusqu’à la caricature. Son ignorance du monde est abyssale et son narcissisme gargantuesque. En 1984, il explique au Washington Post qu’il saurait mieux que quiconque négocier les enjeux nucléaires avec l’URSS : « Ça me prendrait une heure et demie pour apprendre tout ce qu’il y a à savoir sur les missiles. De toute façon, je sais l’essentiel. » Peu importe la connaissance, lui saisit le monde par instinct. D’autant que, selon nombre de témoignages, il ne lit pas de livres. Et « il lui est impossible de garder son attention plus de quelques minutes sur quelque sujet que ce soit, hormis l’agrandissement de son propre ego. Et même ça n’est pas acquis », note Schwartz. Il n’a pas encore pris ses fonctions présidentielles qu’il annonce, contrairement à l’usage, qu’il n’entend pas commencer chaque journée par l’écoute du briefing des services de renseignement. Il n’a pas été élu pour s’ennuyer.
Pour cerner l’homme, le mieux est peut-être de commencer par le commencement. D’origine allemande, son grand-père fera son chemin à la fin du XIXe siècle dans la gestion de saloons et de maisons closes, en particulier dans le Yukon canadien et en Alaska. Son père, Fred, fera fortune à New York dans l’immobilier (déjà). Donald passe son adolescence dans une école militaire. Puis il étudie à Wharton, l’importante école de commerce de l’université de Pennsylvanie. Entré dans la vie active par un échec révélateur de son attrait pour le monde du spectacle – la comédie musicale qu’il a produite à Broadway s’arrête rapidement –, il poursuit bientôt les deux traditions familiales : l’immobilier et les casinos, modernes cousins des saloons d’antan.
Quand en 1971, à l’âge de 25 ans, « le Donald », comme le surnomment les Américains, prend la tête de l’entreprise familiale, il est un héritier fortuné. Son père dispose d’un patrimoine de 200 millions de dollars, l’&eacut
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