Après avoir travaillé sur les nouvelles technologies et leurs dangers, j’ai voulu me recentrer sur notre rapport au monde et à notre environnement, pour essayer de comprendre non seulement la crise climatique, mais aussi la question plus large de nos liens rompus avec la nature. L’intelligence s’est imposée comme un point de départ, précisément parce que nous en avons une idée préconçue très restreinte : elle ne serait que ce qui se passe à l’intérieur de la boîte crânienne des hommes. C’est cette conception qui prédomine lorsque l’on développe de nouvelles technologies.

La pensée occidentale a longtemps refusé de voir ces comportements comme de l’intelligence, considérant que n’est intelligent que ce qui nous ressemble

Or l’intelligence est bien plus que cela. Elle n’est ni fixe ni enfermée. Elle est active et dynamique, elle se produit dans le monde et dans la relation entre les êtres. Surtout, elle est plurielle et s’exprime différemment en fonction des espèces et de leur façon de voir le monde. Confrontés à un même test, les grands singes (gorilles, chimpanzés…) répondront comme les humains, car comme nous, ils marchent sur le sol. Les gibbons, qui vivent dans les arbres, auront une réponse très différente, mais tout aussi valable. Partout dans la nature, on trouve des preuves extraordinaires de cette pluralité. Une expérience récente a montré que les plantes avaient une mémoire : un mimosa qui repliait ses feuilles dès qu’on les touchait a finalement arrêté de le faire lorsqu’il a « compris » que cela ne lui faisait pas de mal. Une autre expérience a prouvé que les myxomycètes, des microorganismes unicellulaires, étaient capables de résoudre des problèmes mathématiques complexes comme celui du « commis voyageur » [qui consiste à trouver la façon la plus économe de passer par un ensemble de points donnés avant de revenir à son point de départ] bien plus efficacement que nos meilleurs ordinateurs. Et la liste est longue de bien d’autres exemples ! Bien entendu, si on les soumet à des tests d’intelligence humains, ces organismes vont échouer. La pensée occidentale a longtemps refusé de voir ces comportements comme de l’intelligence, considérant que n’est intelligent que ce qui nous ressemble, et que tout le reste est en dessous de nous.

Alors que nous sommes confrontés à une crise écologique planétaire, il nous faut abandonner cette vision strictement anthropocentrée de l’intelligence, cesser de considérer le monde non humain comme une ressource à exploiter et lui accorder des droits et de l’espace pour qu’il puisse exercer ses intelligences. Il nous faut penser une collaboration, un écosystème entre toutes ces intelligences, humaines, animales, végétales, mais aussi celle des machines. Nous devons en effet prendre en considération l’intelligence artificielle.

Je recherche une forme d’intelligence planétaire, à même de relever les défis globaux qui nous font face

Pour le moment, ce que l’on appelle IA n’est rien de plus qu’un super ordinateur, et je ne suis pas certain qu’on puisse vraiment parler d’« intelligence » à son sujet. Elle n’est pas non plus « artificielle », car les composants dont elle a besoin – les métaux rares, les combustibles – sont des produits de la terre. C’est une illusion de la croire abstraite, séparée du monde. Mais si on continue à la développer, plutôt que d’en faire une pâle copie du cerveau humain et de son modèle d’intelligence centralisée, réancrons-la dans la nature, et prenons comme modèles les intelligences du monde qui nous entoure, comme la pieuvre, dont chaque bras est doté d’une sorte de cerveau indépendant.

Aujourd’hui, je travaille sur un projet technologique et artistique intitulé Server Farm (« Ferme de serveurs »). Il s’agit d’une sorte d’ordinateur biologique où les composants de l’écosystème – arbres, fleurs, insectes, animaux… – s’entraident pour réaliser les mêmes tâches qu’un système informatique : stocker et traiter des données, créer des réseaux, évoluer ensemble. À travers ce projet au long cours, je recherche une forme d’intelligence planétaire, à même de relever les défis globaux qui nous font face. 

Conversation avec LOU HÉLIOT

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