Aujourd’hui, il n’existe pas réellement de consensus scientifique sur l’impact global du numérique sur le développement, faute de recul suffisant. Et les premières études, qui ont pu faire passer un message catastrophiste, sont aujourd’hui contrebalancées par d’autres résultats plus nuancés. Une étude récente associant le temps d’écran et les résultats des enfants à un test d’intelligence, avec des mesures à 2, 3 puis 5 ans, montre ainsi que si l’exposition aux écrans a bien un impact négatif sur le développement cognitif des enfants, celui-ci reste assez faible et a, dans tous les cas, une importance moindre que d’autres variables comme le revenu familial, la dépression maternelle ou la qualité du sommeil. Une autre étude, menée par la chercheuse Sheri Madigan, a montré qu’une heure devant un écran en plus à l’âge de 2 ans était associée à une baisse de 0,7 point de QI à 3 ans, et une heure de plus à 3 ans à une baisse de 0,5 point de QI à 5 ans. Il existe donc bien une corrélation négative entre le numérique et le développement cognitif, mais très faible et certainement pas dans une proportion qui exigerait un vaste plan sanitaire !

Il est important, plus que d’interdire les écrans, d’en comprendre les usages et les limites

Pourquoi alors un tel battage médiatique et politique autour de la question des écrans ? C’est un phénomène qu’on appelle « panique morale », soit un sentiment de peur diffusé à plusieurs personnes qui redoutent des menaces graves sur le bien-être de la société. On a connu cela dès les années 1930 avec les flippers, et plus tard avec les romans d’horreur, la télévision, les jeux de rôle, les jeux vidéo, et en réalité avec tout ce qui touche de près ou de loin aux loisirs, comme si ces temps étaient nécessairement des temps perdus – c’est la « théorie du déplacement », formulée par Susan B. Neuman en 1988. Mais on peut lui opposer une autre idée, le principe de « Boucles d’or du numérique », développé notamment par des chercheurs autour d’Andrew Przybylski, professeur à l’Oxford Internet Institute, selon laquelle on peut avoir une utilisation modérée du numérique qui ne soit pas intrinsèquement délétère pour les individus. Pour cela, il faut opérer une distinction entre les différentes réalités des multiples formes d’« écrans », entre les différentes activités ou les différents programmes que ceux-ci proposent. Ils peuvent se montrer bénéfiques, par exemple, pour la socialisation de certaines personnes – en particulier les individus appartenant à des minorités –, car ils permettent de créer des espaces d’échange, ou encore pour l’apprentissage via des supports vidéoludiques, notamment en termes de mémorisation, mais aussi de compréhension.

A contrario, les effets délétères de certaines pratiques sont aujourd’hui pointés du doigt par la science. Ainsi, au quotidien, le media multitasking, le fait d’utiliser plusieurs moyens de communication en même temps (télévision, ordinateur et téléphone), est associé à des performances plus faibles en termes de concentration, de capacité d’écoute ou de lecture. Plus on a l’habitude de multiplier les tâches simultanées, moins on est en mesure de contrôler son attention, de se focaliser sur ce que l’on est en train de faire, de ne pas se laisser distraire – avec, forcément, un impact sur les résultats cognitifs. Une étude de 2021 de Wiradhany et Koerts montre ainsi que ce multitasking est associé à des problèmes de mémoire, d’inhibition et de gestion de l’attention, mais aussi de régulation du comportement et des émotions. On touche là à la limite de l’idée que les digital natives (ou « enfants du numérique ») seraient capables de jongler entre différents médias. Cette idée n’est qu’un mythe : car nos capacités cognitives présentent nécessairement des limites impossibles à franchir.

C’est pourquoi il est important, plus que d’interdire les écrans, d’en comprendre les usages et les limites. Prenons un cas qui nous occupe en cette rentrée, celui de l’école. On sait désormais qu’un texte lu sur écran est moins bien retenu que lorsqu’il est lu sur papier, car on adopte tous alors un mode de lecture différent, plus superficiel, qui ne cherche à en retenir qu’une poignée d’éléments clés. Vouloir remplacer les manuels scolaires par des fichiers PDF sur tablette n’aurait donc aucun sens, et limiterait en tout cas la compréhension des élèves. En revanche, on peut imaginer recourir aux écrans à l’école de façon plus intelligente, en utilisant des formats de présentation des informations innovants (animations ou réalité augmentée) ou en faisant de l’étayage, c’est-à-dire du soutien et du guidage des apprenants avec des outils type quiz ou questions insérées. En profitant du numérique pour optimiser les formats de présentation des informations et en mettant en place de véritables stratégies d’apprentissage, on peut tirer de cet outil de vrais bénéfices, à même de changer notre image des écrans. 

Conversation avec J.B.

 

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