Les coalitions sont-elles contraires à la culture politique française ? Sommes-nous incapables, à l’inverse de nos voisins allemands et italiens, souvent cités, de voir les partis qui se sont combattus pendant l’élection s’entendre une fois que les urnes ont rendu leur verdict ? On pourrait le croire, alors que, dix jours après le second tour des élections législatives, la France peine à se trouver une majorité, même relative, pour gouverner le pays. 

Plusieurs raisons expliquent ces difficultés. Biberonnés à la culture du scrutin majoritaire dans une Ve République où les coalitions se forment avant l’élection et non pas après, les Français ne sont pas habitués à la logique de dépassement des clivages politiques. En cause, la forte charge idéologique qui continue de dominer les débats politiques, et le sentiment que tout compromis s’apparente à de la compromission, que la coopération équivaut à de la collaboration. Longtemps réservée à la gauche, cette critique s’étend aujourd’hui à tous les segments du paysage politique. Elle explique pourquoi les partis membres du Nouveau Front populaire s’entêtent à vouloir gouverner seuls, contre tout sens de l’arithmétique électorale – on imagine mal qu’un gouvernement de gauche reposant sur une alliance fragile et auquel il manque cent députés pour atteindre la majorité absolue puisse tenir plus de quelques semaines dans un contexte aussi polarisé. Un tel refus des compromis explique également que le centre et la droite menacent de censurer un gouvernement qui comprendrait des ministres insoumis, voire des écologistes – une position qui revient à refuser tout accord électoral avec la gauche en dehors du Parti socialiste, alors que le NFP est arrivé en tête lors des élections. 

« se soumettre ou se démettre »

Dans une telle situation, que faire ? Nombreuses sont les voix qui défendent une réforme du mode de scrutin en vue d’instaurer un système proportionnel. Une partie de la solution viendra peut-être de cette voie, qui permettrait une représentation plus équilibrée des idées portées par les électeurs, comme cela a été le cas durant une partie de la IIIe et de la IVe République, sans avoir à passer par des alliances dont la logique est parfois difficile à comprendre pour les Français – que ce soit au sein du NFP ou dans la coalition centriste d’Ensemble. Elle aurait également pour avantage de faire du futur Premier ministre un négociateur entre différentes forces politiques plutôt que le líder máximo d’un camp contre tous les autres, comme c’est actuellement le cas. 

Quoique bénéfique, cette seule réforme aura des retombées limitées si elle ne s’accompagne pas d’une transformation de la pratique du pouvoir présidentiel. En effet, la polarisation des forces politiques a été renforcée depuis plusieurs décennies par le présidentialisme, qui conduit à accentuer les divisions autour de la figure du président, celui-ci se positionnant, depuis le mandat de Nicolas Sarkozy, en chef de la majorité et non pas en garant des institutions au-dessus des partis. Dans cette ligne, le président Macron joue depuis dix jours un rôle toxique visant à maximiser son influence dans la future majorité, plutôt que de se comporter en facilitateur d’une coalition et d’accepter l’autonomisation du Parlement. Faudra-t-il que le Parlement entre en confrontation directe avec le président pour sortir de l’impasse ? Si cela devait être le cas, Emmanuel Macron devrait garder en tête la leçon de Mac Mahon. En 1877, le président de la République monarchiste Patrice de Mac Mahon avait tenté d’imposer un gouvernement au Parlement à majorité républicaine. Dans un discours resté fameux, Léon Gambetta, le chef de l’opposition républicaine, lui avait intimé de « se soumettre ou se démettre » si une nouvelle élection confirmait le choix des républicains contre les monarchistes. Quelques mois plus tard, à l’issue d’un scrutin favorable aux partisans de la République, Mac Mahon était poussé à la démission. Les fondements du parlementarisme français se sont élaborés sur cette limitation du rôle présidentiel, qui a permis de donner un équilibre et une stabilité à notre système politique pendant plusieurs décennies. 

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