Les manifestations du 1er mai l’ont encore montré. Le fleuve de la colère ne rentre pas dans son lit. Il continue d’inonder le pays, surtout dans les villes moyennes, ces sous-préfectures qui racontent une France qui se vit comme en voie de déclassement, et ressasse le sentiment devenu ressentiment d’un mépris venu d’en haut. Un mal-être profond qui ne s’efface pas depuis la longue crise des Gilets jaunes de 2018-2019. Mais comme le souligne le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger dans le long entretien qu’il donne au 1 hebdo, la mobilisation contre la réforme des retraites a pu faire descendre dans la rue jusqu’à deux millions de personnes, quand le mouvement des Gilets jaunes avait culminé à 280 000 manifestants.

Alors qu’une nouvelle journée d’action a été fixée au 6 juin, l’incapacité du gouvernement– ou ce qui est perçu comme telle par les partenaires sociaux –  à écouter et à dialoguer continue de tendre le climat. Et ce n’est pas la décision du Conseil constitutionnel d’écarter la demande déposée par des parlementaires d’un référendum d’initiative populaire (RIP) sur la question des retraites, au motif que cette démarche ne concerne pas « une réforme relative à la politique sociale », qui va apaiser les esprits. Si la perspective de quitter son emploi à 64 ans au lieu de 62 ans fait l’effet d’un chiffon rouge aux yeux de nombreux travailleurs qui n’y voient qu’injustice et incompréhension de nos dirigeants, le malaise est plus profond. Il touche à la dignité au travail et à la reconnaissance des « travailleurs invisibles », dit Laurent Berger, et à ce que le sociologue Jean Viard considère comme le combat manqué des syndicats aussi bien que des gouvernements successifs depuis 1981 : la conquête d’une égalité d’espérance de vie entre catégories supérieures et classes plus modestes.

Ce que déplore Laurent Berger, c’est la méconnaissance du monde du travail par l’exécutif

Plus profondément, ce que déplore Laurent Berger, c’est la méconnaissance du monde du travail par l’exécutif, dont il critique la vision étroite de l’entreprise comme lieu de production, les employés étant seulement vus comme des maillons de la chaîne économique. Alors que le progrès social devrait passer, selon lui, par une discussion ouverte sur l’organisation du travail et le management, aujourd’hui prérogative sans partage des patrons. C’est à une démocratie continue dans l’entreprise, comme au sein de la société, qu’appelle le leader en partance de la CFDT. La démocratie, son renouveau et sa vitalité, c’est une fois encore ce que réclame la rue qui gronde. 

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