L’une des singularités de la crise sociale que la France traverse depuis plusieurs mois tient à ce qu’elle repose en partie sur une contestation de la légitimité démocratique du président de la République à agir au nom de la majorité des citoyens. Accusé d’être mal élu, de promouvoir une réforme impopulaire et de réduire la démocratie à des procédures, le chef de l’État n’a cessé d’attiser la défiance envers les institutions et la colère populaire. La critique la plus communément avancée par ses détracteurs est celle de la surdité du pouvoir face au mécontentement. L’exécutif violerait ainsi l’une des règles implicites de la démocratie, qui veut que l’autorité politique s’exerce non seulement au nom du peuple mais aussi pour et avec lui.

Ce que révèle le blocage politique actuel tient à ce titre au sentiment que le gouvernement agit sans le consentement des citoyens, d’où un rejet très ferme du 49.3, devenu en quelques années la manifestation emblématique d’un déni de démocratie. Le dialogue de sourds entre le chef de l’État défendant la légitimité de son élection et les protestataires l’accusant de violenter la démocratie témoigne de l’incompréhension par l’Élysée du fait que le consentement à l’autorité ne peut se réduire à une séquence électorale.

La pandémie de Covid-19 a d’abord agi comme un révélateur des limites du consentement à l’autorité sans concertation

Cette question du consentement, à la source de toute légitimité politique, n’est évidemment pas nouvelle. L’une des évolutions des démocraties libérales contemporaines, en France comme ailleurs, repose sur ce que Pierre Rosanvallon nomme la « démocratie continue » : l’idée est que l’autorisation à gouverner dont bénéficient les élus doit s’accompagner entre les élections de processus qui permettent aux citoyens de renouveler ou non leur accord avec les politiques menées. Leurs modalités demeurent encore à définir, mais ils pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, de référendums, de RIC ou de budgets participatifs au niveau local… Autant de mécanismes qui impliquent un consentement réitératif, au sens où celui-ci n’est jamais considéré comme acquis. Certains d’entre eux ont d’ailleurs été envisagés, voire testés par le chef de l’État. Mais la timidité avec laquelle il en a fait usage et sa volonté de toujours garder la main sur leurs conclusions – comme en a témoigné la Convention citoyenne pour le climat – en disent long sur sa conception d’un gouvernement représentatif, selon laquelle le consentement des citoyens à être gouvernés ne peut s’exprimer que ponctuellement.

À cela s’ajoutent plusieurs éléments de contexte qui confèrent aujourd’hui à cet enjeu du consentement une portée nouvelle et qui expliquent la profondeur de la crise démocratique que nous connaissons, n’en déplaise au gouvernement et au président de la République qui tentent d’en réduire la portée. La pandémie de Covid-19 a d’abord agi comme un révélateur des limites du consentement à l’autorité sans concertation. La situation d’urgence et d’incertitude liée à une pandémie mondiale sans précédent a renforcé la verticalité des décisions prises par le pouvoir exécutif, sans que jamais les citoyens ni le Parlement soient consultés et associés aux décisions qui ont conduit à les confiner pendant plusieurs mois. L’absurdité de certaines règles administratives lors du premier confinement – quoique allégées par la suite – et les errements dans la gestion de l’épidémie ont laissé des traces et ont mis en question le degré d’acceptation sociale par rapport aux privations drastiques des libertés individuelles.

La politique ne se situe pas en dehors de la société, surtout pour une jeunesse qui effectue une lecture politique des sujets de mœurs, des rapports amoureux à la question féministe

Ces restrictions sont venues s’ajouter aux tensions qui pèsent sur les libertés publiques depuis une décennie, à la fois dans le cadre de la lutte antiterroriste et du changement de doctrine du maintien de l’ordre. Si le soutien à la police demeure largement majoritaire dans la population, il n’est pas contradictoire avec le rejet des pulsions autoritaires qui traversent la société, générant des tensions vives entre une partie de la population – à commencer par la jeunesse – et des forces de sécurité soutenues sans nuance par le pouvoir exécutif.

Il n’est dès lors pas étonnant que les nouvelles générations ressentent aussi vivement les restrictions des libertés individuelles et publiques, si l’on garde en tête que la question du consentement est devenue un enjeu majeur de leur appréhension des relations entre les hommes et les femmes. On objectera que ces sujets sont de nature différente. Sauf que la politique ne se situe pas en dehors de la société, surtout pour une jeunesse qui effectue une lecture politique des sujets de mœurs, des rapports amoureux à la question féministe. Dans ce cadre, le 49.3 comme les autres procédures du parlementarisme rationalisé sont dénoncés comme autant de passages en force, voire de « viols » démocratiques, et perçus comme formant un continuum avec les autres formes de violences qui traversent la société, d’autant plus qu’ils se doublent d’une attitude hautaine de la part du chef de l’État.

Face à cette situation, le pouvoir semble ne pas comprendre ce qui se joue, et tente de réduire la crise actuelle à une « séquence » qu’il conviendrait de clôturer au plus vite pour en ouvrir une nouvelle. Cette ficelle, qui consiste à parier sur l’amnésie politique des citoyens et leur lassitude, est un peu grosse, même si elle a pu fonctionner dans des temps moins incertains. Mais dans une période de mutation anthropologique profonde, tant par rapport aux questions de genre, d’inégalités sociales que de climat, elle illustre surtout le gouffre béant qui s’est ouvert entre le pouvoir actuel et les aspirations des citoyens à renouveler les formes du consentement démocratique. En refusant de prendre en compte cette exigence et en s’arc-boutant sur des conceptions archaïques de la représentation politique limitée à l’élection, le chef de l’État démontre sa distance avec le nouveau monde qu’il ambitionnait, à ses débuts, de faire advenir.

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