En s’engageant à passer à une production d’énergie 100 % renouvelable (EnR) d’ici 2050, deux candidats à la présidentielle, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, radicalisent un débat sur l’énergie que leurs opposants, tenants du nucléaire dans diverses proportions, préfèrent poser en termes de mix. Interrogé sur France Inter, le Vert justifie : « Cette électricité est beaucoup plus chère que celle issue des énergies renouvelables. » Vraiment ?

De fait, Yannick Jadot aurait pu, pour défendre la compétitivité actuelle ou à venir des EnR, invoquer plusieurs études : pour la France, celles de l’Ademe en 2018, d’économistes du Cired, ou de Greenpeace et de l’Institut Rousseau en 2021 ; pour le monde, celles de l’AIE et de l’Irena en 2021… Mais en face, les études favorables au nucléaire s’alignent aussi : les Allemands du DIW, en 2015 ; l’OCDE, le MIT et l’université Dauphine en 2018… Au cœur de la discorde, une pomme du nom de LCOE, ou levelized cost of ernergy.

Le LCOE évalue le coût moyen de production du mégawatt-heure par une technologie donnée : il intègre l’investissement initial, les coûts de fonctionnement, de combustible, d’entretien, etc., et on lui applique une « actualisation » pour répartir les revenus totaux de la production sur la durée de vie du système. Le chiffre ainsi obtenu est aisé à comparer. Du moins, en apparence…

Réponse du berger à la bergère : le coût de l’énergie nucléaire serait, lui aussi, sous-évalué, en particulier dans le cas des réacteurs nouvelle génération (EPR)

Car l’effondrement du LCOE des EnR ces dernières années serait, pour certains, un trompe-l’œil lié à la méthode de calcul : celle-ci ne tient en effet pas compte de la nature intermittente des EnR les plus en vue, l’éolien et le solaire. Si vos éoliennes, une nuit de grand vent, produisent en abondance une électricité que personne ne consomme, le prix de cette dernière sur le marché s’effondre, et avec lui la valeur de vos infrastructures. Des parades sont avancées : importations, adaptation de la consommation aux cycles naturels (les fameux smart grid), promesse d’une hypothétique solution de stockage à venir… Toutes pistes qui ont ou auront un prix, mais que le LCOE ne comptabilisera pas.

Réponse du berger à la bergère : le coût de l’énergie nucléaire serait, lui aussi, sous-évalué, en particulier dans le cas des réacteurs nouvelle génération (EPR). En témoignent les déboires de la centrale de Flamanville, symbole de l’affaiblissement de l’industrie nucléaire nationale : onze ans de retard et un coût multiplié par six – environ 20 milliards d’euros selon la Cour des comptes. Cette dernière s’est inquiétée à plusieurs reprises des dérives de la filière EPR, ainsi que de la sous-estimation du démantèlement ou du retraitement des déchets. Autant de menus détails qui risquent de peser dans la facture… Certains jurent que si l’argent de la relance du nucléaire avait été investi dans le renouvelable, le problème de compétitivité dont souffre celui-ci aurait été réglé depuis longtemps.

Derrière ces chiffrages se cache un problème insoluble : l’inconnu

Finalement, derrière ces chiffrages se cache un problème insoluble : l’inconnu. Évolution des technologies, du climat et de la consommation, orientations politiques sont autant de variables sur lesquelles chacun spécule selon ses vues. C’est pourquoi ont fleuri les études de « scénarios » possibles. Dernière en date, le rapport RTE, mandaté par le gouvernement. Il conclut qu’à l’horizon 2060 une relance du nucléaire coûterait aux Français 61 milliards, contre 77 milliards pour un scénario 100 % EnR. Du moins, en cas de hausse médiane de la consommation (+ 36 %), car les résultats n’ont pas encore été publiés pour les hypothèses de « réindustrialisation » (+ 58 %) et de « sobriété » (+ 17 %). Trois trajectoires différentes, mais trois hausses ! Car, selon RTE, les gains en efficacité énergétique ne compenseront jamais la progression de la demande liée aux croissances démographique et économique, ou encore aux nouveaux usages (voiture électrique…). Un choix contesté, on l’imagine, par les partisans du renouvelable, au nombre desquels NégaWatt, une association d’experts indépendants. Leur scénario défend, lui, la possibilité d’une baisse réelle de la consommation. Deux philosophies s’affrontent ici : pour l’une, la consommation peut être orientée, mais pas bridée ; pour l’autre, les modes de vie doivent s’adapter à un monde limité. On peine à croire qu’un calcul les départagera jamais.

On peut donc longtemps discuter technique et coûts. Mais il est tout de même un point ultime où la logique économique se retourne contre elle-même : l’hypothèse d’un accident nucléaire majeur, avec dissémination massive de radioactivité. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a tenté de chiffrer les conséquences directes et indirectes d’un pareil événement (décontamination, déplacements de population, déficit d’exportations, de tourisme…). Résultat : 430 milliards d’euros. Une somme qui permet à chacun de ranger sa calculette. Aussi hautement improbable soit-elle, la seule possibilité de la catastrophe place au centre du débat une question autrement plus redoutable : celle de la confiance. Non pas la confiance vague et générale dans « la science » ou dans « le savoir-faire français », mais celle en des institutions bien concrètes : EDF, l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), le gouvernement. En octobre dernier, un ancien membre de la direction de la centrale de Tricastin a déposé plainte au tribunal pour dénoncer, documents à l’appui, une « politique de dissimulation » d’incidents et d’écarts en matière de sûreté de la part d’EDF, avec la complaisance de l’ASN – des accusations contestées par les intéressés. Prévenu, le ministère n’aurait, lui, pas pris la mesure de la situation, selon le lanceur d’alerte. La confiance, donc. De notre futur système énergétique, le seul élément qui ne s’achète pas mais se gagne… 

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