Une société écolo est-elle possible ?
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Le thème de la transition écologique peine à s’imposer dans cette campagne présidentielle. Pourquoi un tel désintérêt ?
Jérôme Fourquet : La prise de conscience de l’urgence climatique et l’intérêt à son égard sont toujours bien présents dans la société française et dans l’opinion publique. Néanmoins, ces thématiques ne parviennent pas, pour l’instant, à franchir une espèce de mur du son, pour plusieurs raisons. La première, c’est que toute une partie de l’opinion, même si elle est sensibilisée à ces questions, considère qu’il reste encore un peu de temps et que, dans l’échelle des urgences, celle-ci marque le pas face à la question du pouvoir d’achat, de l’identité ou de la sécurité. Il y a peut-être également un problème de portage politique, avec un candidat écologiste qui est englué dans la bataille pour le leadership à gauche et qui ne bénéficie pas d’une véritable dynamique. Ces dernières semaines, chaque fois que Yannick Jadot était invité dans une émission ou sur un plateau, on ne l’interrogeait pas d’emblée sur l’urgence climatique, mais sur son éventuel désistement. Ce n’est pas de nature à faire émerger la thématique.
Cécile Duflot : Soyons clairs : techniquement, nous n’avons déjà plus le temps. On sait qu’on n’évitera pas un réchauffement global d’au moins 1,5 degré, voire davantage, par rapport à la période préindustrielle. Et au-delà de 2 degrés, les scientifiques ne sont pas en mesure de déterminer exactement l’ensemble des impacts que cela peut avoir, car il y aura des effets d’emballement, des boucles de rétroaction, une fois que certains équilibres naturels seront rompus. La question devrait donc s’imposer aux futurs dirigeants politiques ! Ça n’enlève rien à ce que dit Jérôme Fourquet sur la situation conjoncturelle du candidat de l’écologie politique, mais je crois qu’il existe aussi une vraie stratégie d’évitement. Pour plusieurs raisons.
D’abord, si l’on veut expliquer les politiques à mener, il faut d’abord expliquer la gravité de l’enjeu. Or, les politiques sont dans un discours de réassurance : « Avec moi, vous êtes protégés. » Et c’est plus facile de dire : « Je vais vous protéger des musulmans, des délinquants ou des terroristes » que de dire : « Je vais vous protéger du dérèglement climatique. » Deuxième point : un certain nombre de mesures à instaurer pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre font plutôt l’objet d’un consensus – isoler les logements, faciliter la réparation des objets, diminuer le gaspillage de façon générale. Or, c’est le clivage qui fait l’intérêt d’une proposition avant une élection. Le troisième élément, enfin, c’est que les retombées d’une bifurcation écologique ne seront pas directement appréciables. D’un point de vue temporel, les bénéfices des décisions à prendre sont à attendre au-delà de l’échéance du mandat des gouvernants, ce qui n’est pas des plus motivants. Et le problème est également spatial, puisque même si la France était exemplaire, ça ne voudrait pas dire qu’elle ne subirait pas les conséquences du dérèglement. Tout cela explique cette situation absurde. Je pense néanmoins que les adultes de demain, lorsqu’ils reliront les débats actuels sur la blouse à l’école, ou sur les immigrés dans les logements sociaux, se diront que c’était totalement lunaire : il y avait un éléphant dans le couloir, et on débattait à propos des fourmis.
A-t-on évacué ce débat lors de la Convention citoyenne pour le climat ?
Cécile Duflot : Pour moi, cette Convention est l’un des apports les plus intéressants du quinquennat Macron, dont le bilan écologique reste très faible. Elle a montré que des citoyens très divers, s’ils sont correctement informés, en viennent à promouvoir le projet écologiste le plus traditionnel, voire le plus radical – avec l’interdiction des trajets courts en avion, l’interdiction de la publicité pour les objets les plus polluants, etc. Cela a aussi permis d’imaginer qu’on puisse s’appuyer sur des porte-parole qui ne soient pas forcément des élus. Si un concessionnaire automobile est convaincu qu’il faut limiter ou interdire l’utilisation des SUV, ça a une portée bien plus forte que si ça vient du monde politique.
Jérôme Fourquet : Emmanuel Macron avait promis de reprendre telles quelles les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, à trois jokers près. Pourtant, pas grand-chose n’a été mis en œuvre. Cela n’aide pas les Français à aller de l’avant sur ce sujet. Beaucoup, pourtant, ont compris que l’affaire est sérieuse ; beaucoup constatent, de manière très empirique, que le climat change : dans les territoires viticoles, par exemple, les vendanges commencent un mois plus tôt qu’auparavant ! Mais, quand une initiative comme la Convention pour le climat accouche d’une souris, cela douche les ardeurs de la population et la conforte dans une forme d’inertie. Je pense qu’il y a, de manière plus ou moins inconsciente, un certain nombre de verrous psychologiques dans une partie de la population, qui se trouve un peu tétanisée face à l’ampleur de cette menace. Ce qui doit être mis en branle pour essayer d’éviter ce choc majeur du dérèglement climatique relève quand même d’un changement majeur de mode de vie, d’un changement de société. Une partie de la population fait l’autruche. Dans certaines enquêtes, les gens nous disent : « Oui, c’est grave », et pourtant les candidats qui promeuvent des solutions ne sont pas forcément les plus entendus.
Quelles sont les mesures urgentes à prendre aujourd’hui pour mener cette transition écologique ?
Cécile Duflot : Évacuons tout d’abord la question financière, désormais secondaire : le coût estimé de la catastrophe climatique est bien supérieur à l’investissement nécessaire pour essayer de la freiner. Donc, même en réfléchissant à la façon de Bercy, on a intérêt à investir dans la transition, car ce sera toujours moins cher que de laisser faire. C’est un peu comme de ne pas constituer de stocks de masques avant une pandémie : quelles « économies » cela a-t-il permis de faire ?
« Investir dans la transition sera moins cher que de laisser faire »
Une fois ce point tranché, on passe à la question du mode de vie. Et pour moi il y a trois chantiers majeurs à lancer. Le premier, la rénovation des bâtiments, ne devrait pas rencontrer trop d’opposition : vivre dans un logement mieux isolé, vous permet de dépenser moins d’énergie pour vous chauffer ; c’est plutôt de nature à améliorer votre confort. Le deuxième, la transition de notre modèle agricole, peut également se révéler assez consensuel : avoir une nourriture qui vient de moins loin, qui repose moins sur les cultures intensives, c’est une amélioration de votre qualité de vie. Reste la question des transports, qui est épineuse pour deux raisons. Déjà, les distances se sont rallongées, en raison de la société de l’automobile – laquelle n’aura duré, à l’échelle de l’histoire de l’humanité, que très peu de temps. Beaucoup de gens sont obligés de prendre leur voiture, même pour aller acheter du pain ! Par ailleurs, passer son permis et avoir sa voiture restent fortement associés à une forme de liberté individuelle, au point qu’il est impossible de penser notre société sans cette logique de transport extrêmement fluide et facile.
Comment, alors, faire évoluer les choses ?
Cécile Duflot : À travers la hausse manifeste des dépenses contraintes, liées notamment au logement, et l’augmentation du prix de l’essence en raison de l’épuisement des ressources fossiles, les gens voient bien que ce mode de fonctionnement ne va pas tenir très longtemps. Donc que fait-on ? Quel chemin propose-t-on pour aller vers un monde qui fonctionne différemment, et quelles étapes suivre ? Il est absolument fondamental que le monde politique puisse répondre à ces questions. Admettons que je renonce à ma voiture. Comment vais-je aller acheter des meubles ? Déménager mon fils ? On raisonne en termes de réseau de transport, d’infrastructures, d’investissements, y co
Une société écolo est-elle possible ?
Jérôme Fourquet
Cécile Duflot
Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement, aujourd’hui directrice générale d’Oxfam, fait face dans ce débat à Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégie d’entreprise de l’Ifop.
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