Dominique de Villepin : pour stopper la guerre, le « principe actif » de la diplomatie
Temps de lecture : 19 minutes
Pour tenter d’identifier les issues diplomatiques au conflit meurtrier déclenché par la Russie en Ukraine, le 1 a sollicité Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac.
Riche d’une longue carrière de diplomate qui le mena de la direction des affaires africaines et malgaches à la fonction de premier secrétaire d’ambassade à Washington puis de conseiller à New Delhi, en passant par le Conseil d’analyse et de prévision (CAP) du Quai d’Orsay, il marqua durablement les esprits par son discours du 14 février 2003 devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Ce jour-là, exprimant la volonté du président français de ne pas suivre les États-Unis dans le déclenchement de la guerre en Irak, il prononça ces mots qui résonnent encore fortement aujourd’hui : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile. »
C’est une conversation qu’a acceptée Dominique de Villepin. Pas une interview au sens strict, pas de questions-réponses ni de relecture par lui de ses propos, mais le déroulé d’une pensée libre nourrie par l’expérience et le souci de rendre à la diplomatie toutes ses dimensions, à condition, dit-il, qu’elle sache formuler la question centrale que soulève à ses yeux la guerre menée par Poutine : l’identification d’un « principe actif » susceptible de stopper la guerre.
L’enjeu est d’autant plus grand que, selon lui, derrière le conflit actuel existent d’autres « conflits qui s’emboîtent » et porteurs de très grands dangers, comme le risque de « partition et de fracture du monde, y compris de la mondialisation ». Ainsi mentionne-t-il la confrontation entre les États-Unis et la Chine, entre l’Ouest et le reste du monde, entre les pays autoritaires et les démocraties libérales. Ces menaces sur l’ordre mondial s’expriment de façon immédiate avec une Russie qui, en matière d’arsenal, est la première puissance nucléaire du monde et n’hésite pas à utiliser des armes sales – les bombes à sous-munitions –, des armes hypersophistiquées comme les missiles hypersoniques, tout en employant des mots qu’il faut prendre au sérieux : armes biologiques, armes chimiques, voire armes nucléaires, qui répondraient le cas échéant à une menace « de type existentiel » ressentie par Moscou.
« Une diplomatie doit toujours s’accrocher à un clivage, à une ligne active, identifier le front sur lequel on doit se battre »
Face à cette situation spécifique, l’ancien ministre des Affaires étrangères pose deux principes majeurs. Le premier est d’utiliser pleinement tout l’espace diplomatique, toute la gamme des instruments qu’il offre, de la négociation aux sanctions directes. Concrètement, ne pas se contenter de parler aux deux acteurs principaux de cette guerre, mais aussi à tous ceux capables de peser sur la décision de Vladimir Poutine, avec qui ils ont une proximité de longue date. La Chine, mais aussi la Turquie, l’Iran, l’Algérie. « Une diplomatie, explique-t-il, doit toujours s’accrocher à un clivage, à une ligne active, identifier le front sur lequel on doit se battre. Il faut s’en tenir à des lignes d’expérience : il y a dans le monde aujourd’hui un esprit de revanche et de vengeance très puissant. »
Comme d’autres pays anciennement colonisés, l’Algérie est ainsi très sensible au discours russe parlant de dénazification et de génocide. Pour Dominique de Villepin, le principe actif de la diplomatie ne peut pas exclure ces pays qui, pour des raisons idéologiques, auraient tendance à rallier les vues de Poutine. La remarque est d’autant plus lourde de sens qu’aux Nations unies, une bonne partie de l’Afrique, y compris des pays qui nous semblent proches, comme l’Afrique du Sud, l’Éthiopie ou le Sénégal (qui préside l’Union africaine), n’ont pas voté les résolutions condamnant l’agression russe (seize se sont abstenus). « Cela doit nous interpeller », insiste-t-il.
« Si on veut avoir une chance de limiter cette guerre dans le temps, il faut intensifier les pressions tout de suite »
Le second principe de cette diplomatie totale dessinée par Dominique de Villepin consiste à intensifier sans attendre les pressions sur Vladimir Poutine. Une stratégie qui peut nous faire mal, à nous Occidentaux, en particulier si l’on décide de ne plus importer de gaz et de pétrole russes. « Or, dans nos schémas, déplore-t-il, nous nous installons dans une guerre longue, nous jouons sur le calendrier. »
Ainsi le chancelier allemand Olaf Scholz ou le Premier ministre italien Mario Draghi, qui se donnent comme échéance la fin de l’année, voire au-delà, pour s’affranchir du gaz russe. Ainsi l’Union européenne, qui dit vouloir devenir indépendante des combustibles russes d’ici 2027. « Si on veut avoir une chance de limiter cette guerre dans le temps, est convaincu M. de Villepin, il faut intensifier les pressions tout de suite. Ce calendrier ne tient pas seulement à la durée de la guerre, mais aussi à l’intensité de la nouvelle phase qui a débuté après un mois de guerre. »
« Inciter Poutine, voire l’acculer, à prendre la première sortie de guerre »
Face aux risques d’escalade, d’intensification des frappes avec de nouvelles armes, d’un toujours possibl
« Poutine reste le maître du jeu »
François Heisbourg
Pour le géopolitologue François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique, l’heure des négociations véritables n’est pas encore venue.
[Friture]
Robert Solé
L'écrivain et journaliste Robert Solé imagine comment Macron pourrait essayer de faire entendre raison à Poutine... avant que leur conversation téléphonique ne soit, par pure coïncidence, brouillée.
La persévérance du droit
Catherine Le Bris
Que peut la justice face à Vladimir Poutine et aux crimes de guerre perpétrés en Ukraine ? Le regard de la juriste Catherine Le Bris, qui souligne qu’il faut bien distinguer le temps de la guerre et celui du droit.