Ce poème date de 1942, alors que fait rage la bataille de Stalingrad… et que l’époux de la poétesse meurt au goulag. Admirée par Anna Akhmatova, pourfendeuse des purges staliniennes, par Ossip Mandelstam, mort en chemin vers les camps de la Kolyma, la Russe Maria Pétrovykh ne publia qu’un unique recueil en 1968, L’Arbre lointain.  

On s’éveille, on s’endort – la guerre, la guerre.
De nuit et de jour – la guerre, la guerre.
Nous tient en éveil, la gorge nous serre,
Brouille les noms, la guerre. 
 
Quoi qu’on imagine – la guerre, la guerre.
Ce guide maussade – partout sur terre.
Plus loin la bataille, plus le cœur s’altère,
Proche, elle est amère.

Aurores, couchants – et partout tu erres.
Quel cafard noir tu es – la guerre, la guerre !
Certes, tu nous restes,
Bannière céleste.
Mais toi, maudite, plus noire que terre,
Dis, où sont-ils, nos morts – la guerre, la guerre ! 
Nul n’a vu leurs tombes…
Vengeance à leurs ombres.
Mais comment payer le sang de nos frères ?

Soleil tout sanglant ! Et partout tu erres.
Mais quel nom que le tien – la guerre, la guerre…
Ce nom paraît blanc
Sans trace de sang.
Pourtant le jour ensanglante la pierre.

Écoute ce que te dit ma terre :
J’étouffe, dit-elle, un carcan m’enserre.
Mais je revivrai, et par toute la terre,
Je te détruirai, la guerre !

Traduction de Françoise Lesourd, dans Poésie russe, anthologie du XVIIIe au XXe siècle, La Découverte/Maspero, 1983 ©

 

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