Les réseaux sociaux sont-ils des ascenseurs contestataires ?
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Internet et les réseaux sociaux se sont très tôt construits sur le fondement de la contestation d’un pouvoir vertical, qu’il soit institutionnel, économique ou encore familial et relationnel. Ce faisant, ils ont très tôt entretenu avec la politique un lien étroit, qui ne cesse de se renforcer sous l’effet de leurs antagonismes. Volatils, viraux, rapides et transfrontaliers, les réseaux sociaux opposent à l’inertie, à la verticalité et à la hiérarchisation de la politique, une conception horizontale de l’espace public radicalement différente. Le propre d’Internet et des réseaux sociaux est d’aplanir les relations entre internautes et donc de « casser » la verticalité qui caractérise, entre autres, la relation gouvernants-gouvernés. Et c’est précisément cette volonté de casser la verticalité du pouvoir qui anime le mouvement des Gilets jaunes. Rompre avec l’ancien monde de la démocratie représentative, rompre tout court.
En donnant forme à la contestation commune, les réseaux sociaux amplifient les phénomènes contestataires et de ce fait les hissent, grâce à l’horizontalité dont ils sont les vecteurs, au niveau des gouvernants, devenant alors des ascenseurs contestataires. Véhicules de ce que l’historien Pierre Rosanvallon appelle la « contre-démocratie » (l’ensemble des travaux et des actions menés par les citoyens en dehors du cadre strictement institutionnel afin de surveiller, juger, amender, voire contrer les projets conduits par les élus), ils permettent d’organiser un ensemble hétérogène autour d’une contestation homogène. En reprenant ces codes, le mouvement des Gilets jaunes n’échappe pas à cette logique et s’inscrit dans la veine des précédents mouvements contestataires portés par les réseaux sociaux notamment. Qu’il s’agisse de la révolution de Jasmin en Tunisie, qui a conduit à la chute d’un ordre juridique ; de la révolution des Parapluies de Hong Kong, qui a contraint l’État à modifier sa politique ; ou encore du mouvement népalais ayant mené à la création d’un nouveau parti politique, toutes ces mobilisations ont pris forme via les réseaux sociaux.
En tant que lieux de la réalisation de la liberté d’expression, ces derniers offrent un cadre privilégié au déploiement de cette liberté, en particulier quand elle fait défaut. Parfois supports d’actes de désobéissance civile, les réseaux sociaux participent au questionnement de la « légitimité d’un débat sur le légitime et l’illégitime », pour reprendre la formulation du philosophe Claude Lefort (1924-2010).
Or, le rôle des réseaux sociaux en tant qu’ascenseurs contestataires ne fonctionne que dans le cadre de contestations communes et collectives. En changeant d’échelle et en devenant individuelle, la contestation des internautes telle qu’elle est portée par les réseaux sociaux tend à souligner leur part anarchisante dès lors qu’elle n’a pas vocation à faire valoir une forme de « contre-démocratie ». Dans sa dimension individuelle, la contestation se distingue d’un point de vue substantiel de celle formée dans une dimension collective. Dans ce cas, les réseaux sociaux deviennent un espace polémique, réceptacle des opinions politiques individuelles des internautes, le tout s’apparentant à une forme d’interpellation des gouvernants menée par des « leaders d’opinion », non représentatifs des gouvernés.
De ce point de vue, le mouvement des gilets jaunes oscille entre contestation commune et individuelle. Refusant toute forme de représentation, le mouvement demeure morcelé et donc retombe dans une logique contestataire individuelle. Cela est d’autant plus marqué que les récentes évolutions des algorithmes (notamment celui de Facebook) incitent à se questionner sur le contenu auquel ont accès les internautes. Qu’il s’agisse de l’algorithme de Facebook (EdgeRank), de celui de Google et de Google + (PageRank) ou encore de celui de Twitter, tous ont vocation à traiter préalablement le contenu qui sera soumis aux internautes afin de leur livrer des sujets susceptibles de les intéresser en priorité. Ce faisant, ce contenu sur mesure des réseaux sociaux ne participe pas au développement de la démocratie délibérative dès lors qu’il favorise un entre-soi de la pensée et qu’il produit des communautés ciblées d’humeurs.
Paradoxalement, les réseaux sociaux renforcent une forme de repli sur soi des internautes, tant dans leurs opinions politiques individuelles et militantes que dans leur manière d’appréhender un monde pourtant vaste. Et c’est précisément au sein de ce balancement entre contestation collective et contestation individuelle que résident le principal enjeu et la pérennité du mouvement des Gilets jaunes.
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