Depuis 2014, le village de Saillans, dans la Drôme, expérimente une gestion municipale participative et collégiale. Douze citoyens furent tirés au sort pour réformer le plan local d’urbanisme (PLU), une expérience complexe pour Sophie qui l’a vécue. Elle se souvient encore du courrier reçu par la mairie. Deux pages lui expliquant qu’elle venait d’être désignée parmi 120 habitants du village en vue de constituer un groupe de pilotage décisionnaire pour la réforme du plan local d’urbanisme (PLU).

Âgée de 42 ans, cette mère de deux enfants est issue d’une famille saillansonne depuis plusieurs générations. Depuis 2014 et la victoire de la liste « Autrement pour Saillans… Tous ensemble », Sophie ne s’est rendue qu’à quelques réunions publiques, une frustration pour elle qui soutient l’expérimentation. Mais entre son métier de scénographe pour le théâtre et l’éducation de ses enfants qu’elle a menée seule quelques années, elle n’a guère pu en faire plus. Jusqu’à ce hasard du tirage au sort : « Je suis choisie, raconte-t-elle, cela flatte l’ego et questionne à nouveau mon envie et ma capacité réelle de m’engager. » Elle sera finalement désignée avec onze autres habitants pour s’attaquer au PLU.

Deux ans de travail avec des experts et des élus pour se former un œil sur le paysage et comprendre la réglementation. Les arbitrages du groupe sont pris au fur et à mesure par consensus puis par consentement et enfin par vote en dernier recours, quand les visions politiques divergentes l’imposent. Le PLU oblige désormais de réduire l’étalement urbain, de sortir de la logique des lotissements. Sophie s’est colletée avec la question de la dévalorisation du capital privé, quand il faut expliquer à ses concitoyens que, non, certains terrains ne seront plus constructibles et que le nouveau modèle du PLU sera plus respectueux de l’environnement, laissant respirer les paysages et les terres. Elle se souvient du soir, une fois rentrée à la maison, où elle a pleuré de colère et failli démissionner du groupe des tirés au sort.

La mairie venait d’organiser une soirée autour de la question de l’habitat démontable, les yourtes, les tiny houses et autres caravanes. La réglementation du PLU permet aux maires, dans certaines conditions de mettre à disposition un terrain pour ce type d’habitation. Mais c’est un tout petit point de la réglementation. En abordant publiquement un sujet aussi clivant dans un village dont 76 % des habitants sont propriétaires de leur logement, la mairie n’a pas vu venir la fronde. Vent debout, des habitants ont hurlé leur crainte d’attirer des populations marginales. La sédentarité et le nomadisme ont fait naître une opposition claire au projet politique mené par la liste citoyenne. Et le groupe des tirés au sort, dont Sophie, s’est retrouvé dans l’obligation de voter.

C’est le contre qui l’a emporté, laissant Sophie désespérée. Saillans a inscrit dans son texte final du PLU que, non, la mairie n’autoriserait pas ce type d’habitation alternative. Si la question n’avait pas été mise sur la place publique, elle serait restée bien planquée au fin fond de la réglementation. « Je me suis dit que la démocratie participative pouvait nous conduire vers une décision à l’opposé de mes convictions, à l’heure de l’urgence climatique. » C’est compliqué la démocratie. Il faut sans cesse s’ajuster, entre le conflit et la négociation. Mais c’est pour cela qu’on l’aime. 

 

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