Voyage derrière la muraille
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Présente dans tous les esprits, active sur tous les terrains internationaux, la Chine est pourtant en plein repli. Isolement, personnification du pouvoir, surveillance des citoyens : elle creuse de vieux sillons tout en clamant sa volonté de projection vers l’extérieur. Elle veut être entendue, envoie ses diplomates et ses ingénieurs porter le message de sa volonté bâtisseuse et de son insistance à remodeler les règles du jeu international, mais referme aussi frileusement ses portes face au Covid-19 et assèche les relations nouées entre individus et institutions par-delà les frontières. La Chine se cloître alors qu’elle pèse chaque jour davantage sur le monde.
Frontières
Ses ressortissants résidant à l’étranger sont les premiers à en pâtir : bloqués à l’extérieur par des conditions drastiques de quarantaine – deux semaines minimum, à leurs frais, dans des hôtels désignés – qui rendent tout retour occasionnel insensé, ils s’abstiennent et restent coupés de leur famille et de leur pays depuis près de deux ans. Ceux qui s’entêtent ont souvent vu leurs vols annulés du fait de cas de Covid détectés sur les lignes empruntées, et passent des semaines à tenter chaque jour leur chance. Sixth Tone, un site spécialisé, émanation d’une publication shanghaïenne, raconte le cas d’une Chinoise demeurant en Suède qui essaie de prendre un billet pour aller voir en Chine sa mère atteinte d’un cancer – sans succès depuis le début janvier. La Chine annule des vols chaque jour pour limiter les risques de cas de Covid « importés ». Ces dernières semaines, les annulations ont été plus fréquentes, en particulier pour les vols avec transit à Pékin : il faut à tout prix préserver la capitale à l’approche des Jeux olympiques d’hiver.
Bien sûr, les relations familiales ou amicales subsistent, par applications interposées. On assiste à l’heure de gloire de Weixin (connue à l’étranger sous le nom de WeChat), qui permet d’échanger du texte, des images ou du son en temps réel. De sa résidence britannique, une jeune Chinoise de notre connaissance déjeune tous les jours « avec » ses parents, lesquels dînent chez eux à 10 000 kilomètres de là. Mais dans le monde réel, on hésite désormais à sortir de Chine puisque le retour n’a rien d’automatique. Et encore faut-il disposer d’un passeport valide. Or, l’administration multiplie les barrières : sans « besoin impérieux », plus d’octroi de passeport. Un exemple : souhaiter apporter son aide après la naissance, à l’étranger, d’un petit-enfant n’entre pas dans cette catégorie. Au premier semestre 2021, seuls 335 000 passeports ont été alloués dans tout le pays, soit, de source officielle, 2 % de la quantité accordée sur la même période en 2019. Seuls les déplacements professionnels – pour le commerce ou les études – sont pris en considération, indique le site officiel chinois People.cn.
Même en cas d’accident de la route, les Pékinois ont pour ordre de ne s’approcher d’aucun étranger pendant les Jeux
La rudesse de la quarantaine imposée par la stratégie « zéro Covid » contribue aussi à faire baisser le nombre des résidents extérieurs dans les plus grandes métropoles de Chine, comme à Shanghai où 100 000 expatriés manqueraient à l’appel. Bref, en deux ans, les contacts entre Chinois et étrangers ont été réduits à peau de chagrin. C’est dans ce contexte que les Jeux de Pékin vont se tenir, souvent sans spectateurs, dans une bulle empêchant tout contact entre sportifs et population. Même en cas d’accident de la route, les Pékinois ont pour ordre de ne s’approcher d’aucun étranger pendant les Jeux.
Cybersurveillance
Après la stratégie « zéro Covid » est venue la vie « en société zéro Covid ». Les pouvoirs publics jouent ainsi sur les mots pour camoufler un renforcement de la lutte contre la résurgence épidémique qui pourrait menacer les Jeux. La quarantaine individuelle devient collective dès lors qu’un ou deux cas sont signalés dans un quartier. On parle aujourd’hui en Chine de milliers d’habitants extirpés ensemble par grappes vers des lieux de confinement forcé. Ces méthodes draconiennes suscitent quelques protestations, des désirs de s’échapper, mais, grâce à la cybersurveillance, tous sont mis au pas. Dès la fin du mois de février 2020, les autorités se sont appuyées sur des applications spécialement créées par les géants de la tech que sont Alibaba et Tencent pour accorder un QR-code, vert, jaune ou rouge selon l’état de santé constaté, en vue d’une sortie du confinement à Wuhan. À l’approche des JO, un « passe voyage » intérieur est mis en place, servant à vérifier si les voyageurs ont séjourné plus de quatre heures dans des zones à risque de contamination « élevé, moyen ou faible ». Ce qui détermine une éventuelle mise en quarantaine à l’arrivée.
Chacun craint ces applications, mais elles sont si pratiques ! Car elles permettent presque tout, et même de donner la pièce à un mendiant. Dans les rues d’une grande ville du Sud, un soir récent, un danseur faisant un numéro de moonwalk recevait la contribution d’un spectateur par téléphone. Et mieux vaut oublier l’idée d’acheter son thé avec de l’argent dans une échoppe de quartier : celle-ci n’acceptera que le paiement par Alipay, l’applic
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