Qu’attendent les dirigeants chinois des Jeux olympiques de Pékin ?

Des événements du type JO sont toujours pour la Chine l’occasion d’améliorer son image, de mettre en avant son talent d’organisation aux yeux de son opinion publique et de mener une opération de communication internationale. Or, aujourd’hui, la Chine est très critiquée, surtout dans les pays développés. Les JO permettent de promouvoir ce que le Parti communiste chinois appelle la « démocratie socialiste », ou « populaire », une notion censée endiguer ces critiques. Ce sera aussi l’opportunité pour la Chine de montrer au monde la supériorité de son système politique, qui a imposé un confinement très rigide pour contenir la pandémie de Covid-19 et y est mieux parvenu que les Occidentaux.

Où en est la lutte contre la pandémie ?

Officiellement, avec son 1,4 milliard d’habitants, la Chine n’a eu que 4 636 morts. Même si l’on peut douter de la réalité de cette donnée, il faut admettre que Pékin, avec ses méthodes, a su minimiser les dégâts de la pandémie. Cela dit, les milliers de sportifs et de journalistes qui vont venir aux JO seront confrontés à une réglementation et des contraintes qui vont les surprendre. Le public manquera nombre de compétitions, dont seules les images télévisées seront diffusées ; les journalistes peineront à obtenir des interviews de sportifs, etc.

À la veille des JO, les dirigeants chinois ont lancé une campagne de « moralité » pour lutter contre les sites pornographiques sur Internet et l’occidentalisation du mode de vie des jeunes : leurs vêtements, leurs coiffures sont jugés « décadents ». Ont-ils peur de la jeunesse ?

Pas uniquement les coiffures ou les jupes courtes… Les autorités font aujourd’hui une chasse effrénée aux tatouages ! Cela montre qu’elles ont le sentiment que la jeunesse leur échappe, surtout la jeunesse urbaine, mais pas seulement. Les jeunes ont grandi dans une Chine où le consumérisme dominait. Leur monde présent tourne autour de l’Internet, des distractions en ligne et de l’argent devenu immatériel. Regardez dix jeunes dîner ensemble. Tous passent leur temps courbés sur leur téléphone portable. Leurs échanges sont rudimentaires. Cette forme de repli individualiste inquiète visiblement le pouvoir, qui trouve que les jeunes ne s’intéressent qu’aux jeux et aux sites de rencontre. Mais ce qui fait surtout peur au régime, c’est qu’ils accèdent à une information qui n’est pas toujours officielle.

« Certains jeunes lâchent. On les appelle les neijuan, ceux qui abandonnent, qui se replient sur eux-mêmes »

Pourtant, le régime bloque l’accès aux informations en provenance de l’étranger…

Certes, l’accès à l’information reste contrôlé, mais on estime qu’aujourd’hui 10 % des jeunes Chinois disposent d’un VPN [une connexion sécurisée qui permet de masquer son identité sur le Web]. Ils peuvent donc sauter par-dessus les barrières de la censure. Plus généralement, le pouvoir est ambivalent par rapport à ces jeunes. D’un côté, il est rassuré par le fait que la grande majorité d’entre eux se détourne du politique. Le Parti communiste peut ainsi dormir tranquille… Mais, d’un autre côté, ce phénomène nourrit une inquiétude des dirigeants, car ces jeunes suivent beaucoup ceux qu’on appelle les « leaders d’opinion », les « influenceurs », qui promeuvent non seulement des produits mais aussi des idées. Constatant que tout un secteur de la consommation lui échappe, le fisc a commencé à sévir. De plus, les « blogs d’opinion » se multiplient. La plupart sont des sites de stars de la télé, du cinéma, du sport, qui mobilisent leurs fan-clubs. Mais d’autres diffusent des opinions qui ne sont pas celles du Parti. Le PCC regarde avec suspicion ces gens qui prônent l’argent facile ou une autre façon de vivre.

Qu’est-ce qui, chez les jeunes, inquiète le plus le Parti ?

C’est l’individualisme galopant, très marqué parmi eux. D’une manière générale, il y a peu d’esprit civique en Chine. On pourrait dire que la Bourse fixe la hiérarchie des valeurs. Cela génère une jeunesse qui paraît a priori souvent cynique. Et cela engendre aussi des attitudes qui déplaisent au Parti. Par exemple, les adeptes du tangping, ceux qui lèvent le pied et récusent le travail trop dur. Ils rejettent ce que Jack Ma (le fondateur d’Alibaba, l’Amazon chinois) avait appelé la règle du « 9-9-6 » : travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours par semaine. Les tangping ont un côté « baba cool ». Beaucoup sont issus de familles disposant de quelques moyens. Mais leurs parents ont généralement dû travailler dur pour réussir. La vie semi-oisive que mènent leurs enfants inquiète les autorités. Car leur attitude est une forme de contre-culture, de protestation contre un régime où il est impossible de se rebeller publiquement. Que représentent exactement les tangping ? Impossible de le savoir.

Quelles mesures le Parti communiste prend-il pour conjurer cette « décadence » de la jeunesse ?

Il a multiplié les oukases. Ainsi l’accès des jeunes aux jeux vidéo est interdit aux moins de 18 ans. Mais cette loi est aisément contournée : certains jeunes ont accès à un VPN, ou au compte de leurs parents. Le PC fait aussi fortement pression sur les « influenceurs »… et les influencés. Si vous avez un tatouage et que vous vous engagez dans l’armée ou que vous êtes un athlète, vous devez le faire disparaître. Des stars sont vouées aux gémonies lorsque l’on découvre qu’elles ont fraudé le fisc. Surtout, Xi Jinping prône la réduction des inégalités ; dans les faits, cette campagne se résume pour l’essentiel à demander aux hyper-riches d’être plus discrets, de ne pas trop étaler leur fortune et de cacher leurs extravagances. Honnêtement, ce type de mesure marche pour les membres du Parti, mais les jeunes urbains s’en fichent pas mal.

Quels sont leurs espoirs, leurs craintes ?

Les jeunes sont souvent dominés par le sentiment que les « belles années » sont révolues. L’argent facile semble passé. Les temps sont plus durs, l’avenir apparaît plus noir. Il leur sera plus difficile d’acquérir un appartement, et donc de se marier. Ceux qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail, même détenteurs d’un diplôme universitaire, ont plus de mal à réussir financièrement. Certains lâchent. On les appelle les neijuan, ceux qui abandonnent, qui se replient sur eux-mêmes.

La question de l’environnement est-elle importante pour cette jeunesse ?

Je dirais que non. Bien sûr, des manifestations de protestation se poursuivent dans certaines régions plus touchées. Mais il y a aussi eu des améliorations. L’enjeu environnemental paraît moins aigu qu’il y a quelques années. L’inquiétude première des Chinois, aujourd’hui, c’est l’économie. D’où les mesures de Xi pour favoriser, par exemple, l’accès à la propriété. Reste que de plus en plus de jeunes ne trouvent pas de travail à la hauteur de leur diplôme, car l’offre d’emplois qualifiés est faible. Cela génère des frustrations.

L’appareil d’État communiste semble d’une solidité quasi sans faille. Est-ce que cela reflète une réalité, ou y a-t-il des factions en son sein ?

On peut dire que l’opinion publique chinoise soutient le pouvoir et que l’opposition est quasi inexistante. C’est en grande partie dû au fait que personne n’a l’espoir de pouvoir changer le régime et que les risques sont trop élevés. Mais il faut aussi constater que les plus de 40 ans sont généralement très contents de l’évolution que leur vie a connue, et que les jeunes sont plus nationalistes que les plus âgés. Ils soutiennent le régime de manière plus déterminée, plus agressive. Certes, il y a des dissidents. Mais ils sont extrêmement minoritaires. Et les opposants à Xi au sein du Parti sont éparpillés et très affaiblis. Cela dit, des différences existent. Les Chinois séparent le nord et le sud du pays en fonction du cours du Yangzi Jiang. Les communistes dits « du Sud », territoire plus commerçant, sont considérés comme plus souples sur le plan politique.

Au sein du PCC, certains s’alarment du pouvoir absolu – sans précédent depuis Mao – que détient Xi Jinping, depuis l’inscription dans la charte du Parti en 2017 de la « pensée de Xi », ou plutôt de la « pensée de Xi Jinping pour un socialisme de l’ère nouvelle aux couleurs de la Chine », selon la formule officielle. Les mêmes s’inquiètent que Xi puisse désormais rester président à vie. D’autres du fait qu’il renforce l’emprise du Parti sur le secteur privé. D’autres encore récusent le contrôle accru de la société imposé au pays. Et certains craignent que la politique étrangère menée par Xi, qui consiste à répliquer à toute pression exercée par les Occidentaux, n’isole de plus en plus la Chine. Mais personne ne s’exprime publiquement ni ne remet en cause le principe du Parti unique.

La contestation portée par les manifestants de Tian’anmen paraît complètement oubliée en Chine. À l’extérieur, certains spécialistes estiment que l’aspiration à la démocratie sera absente de la Chine contemporaine pour longtemps, d’autres envisagent qu’une crise socio-économique pourrait voir les enjeux démocratiques resurgir. Qu’en pensez-vous ?

Je suis en désaccord avec la seconde vision. Non, la démocratie n’est pas perçue comme un enjeu essentiel par les Chinois. Si une crise économique advenait, le soutien accordé au Parti serait encore plus fort, car celui-ci est le garant de la sécurité aux yeux de la population. On l’a très bien vu lors de la crise du Covid. Pour les Chinois, la sécurité l’emporte très largement sur les libertés individuelles. Sécurité, ordre et stabilité sont les valeurs les plus prisées. Il est indéniable qu’il y a un déficit de culture démocratique en Chine, après plus de deux mille ans de régime impérial et 75 ans de communisme. Il n’y a pas non plus de culture de la citoyenneté. Cela permet de comprendre les mentalités dominantes et explique pourquoi nombre de Chinois adhèrent à l’idée que la « démocratie socialiste », dirigée par un parti unique, est une démocratie qui marche car elle assure la stabilité et la prospérité. À terme, la modernisation de la Chine, l’amélioration de l’éducation, le développement des classes moyennes, tout cela favorisera l’émergence de l’idée démocratique et d’une citoyenneté, mais ce processus sera très lent. Aujourd’hui, même pour les élites chinoises, la démocratie n’est pas un enjeu. 

Propos recueillis par SYLVAIN CYPEL

Dessins JOCHEN GERNER

 

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