L’image a frappé le pays entier : des groupes de supporters allemands sifflant l’hymne national et entonnant des chants nazis au cours du match qui opposait la Mannschaft à la République tchèque, le 1er septembre dernier. Une déflagration, une « honte nationale » pour le sélectionneur Joachim Löw, qui a soutenu la décision de ses joueurs de ne pas saluer la tribune après le match. Mais si l’épisode a meurtri un pays déjà éprouvé par le succès du mouvement Pegida, il n’a rien d’un incident isolé. Il traduit plutôt la montée en puissance des groupes d’extrême droite dans de nombreux stades européens. « Le racisme n’est pas propre au football, mais ce dernier offre une caisse de résonance unique aux mouvements identitaires », explique Carine Bloch, secrétaire générale du comité Éthique et Sport. « Les tribunes sont un bon lieu de recrutement pour ces groupes, notamment auprès de jeunes gens, parfois en situation d’échec. Elles constituent aussi une excellente scène médiatique pour faire passer des messages politiques sur toutes les télés du monde. »

Les plus connus de ces messages ne sont pas les moins primitifs. À travers l’Europe, les cris de singe pleuvent ainsi depuis plusieurs années contre les joueurs de couleur – quand ce ne sont pas de vraies bananes, comme celle qu’a reçue le Brésilien Dani Alves, lors d’un match à Villarreal au printemps 2014. Le joueur avait frappé les esprits en avalant le fruit d’une bouchée, inspirant une campagne sur les réseaux intitulée « Nous sommes tous des singes ». Mais ce geste ironique ne doit pas masquer la réalité des stades, où fleurissent les symboles du white power – croix celtiques, triskèles, aigles nazis, poings blancs ou numéro 88 (pour « Heil Hitler »). En Italie notamment, les joueurs noirs sont encore souvent victimes des invectives des supporters adverses, voire des tifosi de leur propre équipe ! C’est notamment le cas à la Lazio, dont la curva nord est régulièrement fermée par les autorités transalpines pour mettre fin aux débordements qui s’y produisent. Le club romain a, il est vrai, un certain passif de ce côté-là. À la fin des années 1990, ses ultras avaient déroulé une énorme banderole à l’adresse de leurs rivaux de l’AS Roma, où il était inscrit : « Auschwitz est votre patrie, les fours sont votre maison. » Quant à son ancien capitaine, Paolo Di Canio, il s’était plusieurs fois fait remarquer par ses saluts fascistes après les matchs. Interrogé sur ses sympathies pour l’extrême droite, il s’était défendu en affirmant qu’il était certes « fasciste, mais pas raciste ».

Plus à l’est, les clubs roumains, hongrois ou russes sont tristement connus pour leurs ultras, qui n’hésitent pas à afficher leur hostilité à l’égard des « colorés ». Les fans du Zénith Saint-Pétersbourg sont même allés jusqu’à envoyer une lettre aux dirigeants du club pour les prier de ne pas recruter de joueurs d’origine africaine ou issus de « minorité sexuelle ». En Angleterre, c’est le club huppé de Chelsea qui concentre les critiques. L’altercation en 2015 entre des supporters de l’équipe londonienne et un Franco-Mauritanien, empêché d’entrer dans le métro aux cris de « we’re racist », avait mis en lumière les débordements de certains éléments. Mi-septembre encore, les fans entonnaient dans les travées de Stamford Bridge un chant en l’honneur de leur buteur aux paroles sibyllines : « Alvaro, Alvaro, il vient de Madrid, il hait les putains de Youpins. » Dans leur viseur : les supporters du club de Tottenham, censés compter davantage de Juifs que les autres clubs londoniens… Quant au mouvement English Defence League, un groupe d’extrême droite violemment islamophobe, il est directement issu des mouvements hooligans, et va même jusqu’à organiser ses manifestations les jours de match pour s’assurer une participation maximale !

La France elle-même n’est pas exempte de tels débordements, de la croix celtique humaine formée par des supporters lillois en 2005 aux insultes racistes et homophobes entendues encore l’an passé à Bastia. Dès les années 1980, les tribunes du Parc des princes avaient été investies par des groupes de skinheads menés par Serge Ayoub, fondateur des Jeunesses nationalistes révolutionnaires. Et seule la mort en quelques années de deux supporters du PSG a permis la dissolution des groupes les plus violents, notamment ceux de la tribune Boulogne. « La France a mis en place ces dernières années une politique courageuse, en sanctionnant les clubs par des retraits de points plutôt que des amendes, témoigne Carine Bloch. Les drames successifs ont permis une véritable prise de conscience, et aujourd’hui on peut interdire certains groupes de supporters ou prononcer davantage d’interdictions de stade. Des partenariats ont aussi été mis en place avec les instances du football pour avoir des observateurs lors des grandes compétitions, afin de repérer et d’appréhender les individus dangereux. » L’ancienne vice-présidente de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) ne se fait toutefois pas d’illusions. Pour elle, le bannissement du racisme hors des stades ne suffira pas à régler le problème dans la société. D’autant que la partie pourrait finalement se jouer sur un autre terrain. « Je suis inquiète pour le football amateur. Depuis vingt ans, on en dénonce en vain les dérives. Loin des projecteurs, c’est là aujourd’hui qu’agissent et recrutent les groupes les plus extrémistes. » 

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