La punition des femmes d’Athènes
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Il s’agissait de la fondation d’Athènes. En ce temps-là, la région qui devait plus tard s’appeler l’Attique n’avait pas de divinité protectrice. Et donc, pas de nom véritable. Deux dieux se portèrent candidats, un fait de nature à prouver aux indécrottables champions du Tout-Occident que le système des élections présidentielles germait sur l’Olympe des divinités grecques.
Le mâle s’appelait Poséidon, dieu de la mer, et la femelle, Athéna, déesse de la raison, nièce du précédent. Le roi du coin, Cécrops, appela le peuple à trancher, ô gloire de la démocratie ! Et chacun des dieux de montrer ses biceps.
Poséidon planta son trident sur une colline aujourd’hui nommée Acropole, un étalon en jaillit, noir et nerveux. Les hommes votèrent en masse pour le dieu.
Athéna planta sa lance dans le sol et un olivier en sortit, pourvu de tous ses fruits. Les femmes votèrent en masse pour la déesse.
49 % pour Poséidon, 51 % pour Athéna. Une voix de femme fit la différence. Le roi déclara la déesse élue, songeant qu’au demeurant l’olivier donne l’huile tandis que le cheval demande à être nourri. La ville prit le nom d’Athènes ; sur l’Acropole, les Athéniens édifièrent un temple pour Athéna.
Furieux, Poséidon déclencha une vague monstrueuse qui déferla sur la région. Et la démocratie prit un tour très étrange : pour avoir suscité la colère du dieu, les femmes de la région furent privées de droit de vote et n’eurent même pas l’autorisation de s’appeler Athéniennes. Elles n’avaient d’autre nom que celui de la famille. Refus d’individualité, sortie du corps électoral, ô belle démocratie d’Athènes !
Croire que les dieux sont morts est une illusion. Ils se parlent dans le ciel, ils ont un corps de nuée ; quand ils sont en colère, ils sont violets ou noirs et lorsqu’ils s’empoignent, la grêle s’abat sur les raisins. L’oncle Poséidon n’a jamais pardonné à sa nièce d’avoir gagné la présidentielle de la fondation d’Athènes.
– Une voix de différence et une voix de femme, en plus, gronde-t-il en faisant bouffer son nuage. Ce n’était pas sérieux ! D’ailleurs, elles ont payé, les femmes de ta région !
– Si tu n’avais pas ensuite violé la petite Méduse dans mon temple, on n’en serait pas là, tonton. Elle te plaisait, d’accord. Mais sous mon toit tout neuf !
– Ah ! Voilà pourquoi ! Le toit était tout neuf, alors tu l’as punie !
– Juste un peu. J’ai fait de ses cheveux des serpents et de ses yeux, des armes pétrifiantes. Je l’ai transformée en terreur, ce n’est pas mal, non ?
– Non ! Tu as dû payer un mortel pour la décapiter, la pauvre fille ! D’ailleurs justement. Qu’est-ce qui est né de son sang ? Pégase ! Un cheval ! Comme le mien !
– Un cheval avec des ailes, tonton. Mieux que le tien. Et puis Méduse a une belle postérité. Est-ce que tu connais -Hélène Cixous ? Non, tu ne lis pas. C’est un écrivain qui a bien trois mille ans. Et elle vante le rire ironique de la très belle -Méduse, celle qui faisait si peur… « Ô les zolis zyeux, tiens, zolie petite fille, achète-moi mes lunettes et tu verras la Vérité-Moi-Je te dire tout ce que tu devras croire. »
– Tu es toujours aussi folle, grogne l’oncle. La pauvre Méduse ne rit pas, elle grimace !
– C’est comme le vote des Athéniennes. Elles votent et Méduse, embellie, a jeté ses lunettes à la mer. Il faut t’habituer, tonton, le monde change. Ah non ! Ne te fâche pas ! Tu ne vas pas me faire un autre tsunami ?
Voilà pourquoi, de temps en temps, il grêle.
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